30 SEPTEMBRE – 19 OCTOBRE 2025

Horaires
Mardi, vendredi 20h • Mercredi, jeudi, samedi 19h • Dimanche 17h
Relâche lundi
Durée : 1h10
Texte, Louis Calaferte (publié aux Éditions Tarabuste). Mise en scène, Françoise Courvoisier. Avec Sophie Broustal et Christian Gregori. Scénographie, Clément Schlemmer. Construction, Alex Gerenton. Son, Nicolas Le Roy
Samedi 18 octobre, 11h : une lecture d’un autre texte de Louis Calaferte, C’est la guerre, avec Maurice Aufair, Felipe Castro, Charlotte Filou, Gabriel Izquierdo, Xavier Loira, Clarisse Morizot et Claude Vuillemin
EN DEUX MOTS…
Un couple au quotidien, un soir d’automne, aux alentours de vingt heures quinze… Le « Théâtre Intimiste » de Calaferte se fait le témoin impitoyable de notre vie privée. Dans L’Aquarium il fait le constat de ce que deviennent en général les rapports du couple après de nombreuses années de vie commune. L’être autrefois aimé et admiré fait à présent partie du décor, prévisible au point qu’il ne puisse plus faire rêver son conjoint (et vice-versa). Privés des moteurs qui motivent (le désir, la surprise), l’homme et la femme se retrouvent à tourner en rond dans leur huis-clos comme des poissons rouges dans un aquarium.
Une comédie douce-amère où le comique émerge tout naturellement de la vie telle qu’elle est, malicieusement restituée par l’auteur.
Louis Calaferte (1928-1994), plus connu pour ses romans autobiographiques (Requiem des Innocents, Partage des vivants, Septentrion…) a été révélé comme dramaturge par le metteur en scène et directeur de la Comédie française Jean-Pierre Miquel.
Production Les Amis – Le Chariot
LA PRESSE
LOUIS CALAFERTE, LE COUPLE À COEUR OUVERT À CAROUGE
Les remarquables Sophie Broustal et Christian Gregori jouent avec subtilité l’aliénation conjugale dans «L’Aquarium», un spectacle de Françoise Courvoisier à l’affiche jusqu’au 19 octobre
La poussière des jours. Il faut oser sur scène. Ce rien qui est un tout. Ce vide qui vous meuble une vie. Au théâtre Les Amis à Carouge jusqu’au 19 octobre, Françoise Courvoisier monte L’Aquarium, pièce du Français Louis Calaferte (1928-1994), un auteur qui a le génie du cru, la phrase qui claque et qui saigne comme dans Septentrion, récit de sa vie qui a fait scandale au point d’être censuré dans les années 1960. Sur scène, une femme, un homme. Ils jouent un rôle depuis toujours, mariés, c’est-à-dire ici liés à la chaîne des jours. Entre eux, la plaine est morne. C’est le sujet du spectacle, tue-l’amour au possible. Et voilà pourtant qu’on s’y attache grâce à deux bons comédiens, Sophie Broustal et Christian Gregori.
Pourquoi L’Aquarium prend-il, sous son enveloppe vieillotte? Louis Calaferte, 59 ans en 1985, année où il publie la pièce, a rangé sa trique, lui préférant un pinceau caustique, mais pas méchant. Il ne présente pas le quotidien de l’homme et de la femme – ainsi qu’il les nomme – comme une rixe, fût-elle sourde. Il décrit deux solitudes qui cohabitent, deux rives qui se toisent, sans que le pont entre elles ne soit tout à fait tombé. C’est ce que Sophie Broustal et Christian Gregori jouent, exprimant avec subtilité les nuances de la grisaille.
Fantassin de l’ordre domestique
Voyez-le, attablé dans la salle à vivre, il rumine tout en cassant une grosse noix, histoire de remplir un trou, pas accablé, non, mais morose dans son pantalon en velours côtelé, dans sa chemise à rayures marron. Voyez-la, elle, dans sa jupe droite, élégance à peine fanée par la routine: elle débarrasse la table, ramasse les miettes, passe de la cuisine au living-room, toujours agile comme un fantassin de l’ordre domestique, dans le décor assorti, très années 1960, de Clément Schlemmer.
Ce ballet mécanique, c’est celui qu’ils se donnent tous les soirs, sans acrimonie, avec une forme d’indulgence – elle surtout – et d’énervement volatil. L’événement? Il a croisé un ancien ami, un certain Vidal, qu’il a invité à prendre le café, après le dîner. Il va arriver, alors, en attendant, ils conversent comme hier, comme demain. Il récrimine, les collègues de bureau pénibles, bien sûr. Elle étend les serviettes qui sortent de la machine à laver. Il grogne, elle trime. Il se renfrogne, elle voudrait rallumer la lumière. «C’est de nous deux que je te parle!» Lui: «C’est pas le moment.» Elle, fer à repasser à la main: «C’est exactement comme si je n’existais pas.»
L’Aquarium est la photo sépia d’une aliénation ordinaire. Attachée à des écritures qui délivrent jusqu’à la brûlure les intermittences du cœur, ses folles espérances et ses déroutes, Françoise Courvoisier règle ce pas de deux avec une précision de rémouleuse. Le texte est daté. Les femmes ne sont plus confinées à la vaisselle. La révolution féministe est heureusement passée par là – encore que… Mais l’usure du sentiment n’a pas d’âge.
Dans son cardigan blanc, Sophie Broustal s’alarme à l’instant et c’est comme si elle se jetait dans le vide: est-ce qu’il pourrait la quitter du jour au lendemain, aller au Canada, comme son beau-frère à elle qui a largué son épouse? Christian Gregori érige fissa sa misérable digue: «Eh! non je n’y vais pas puisque je suis ici, les fesses dans mon fauteuil, puisqu’on est toujours à parler de ta sœur ou des uns et des autres, avec leur histoire qu’on connaît par cœur depuis le déluge.» Sur une assiette de fête, des gâteaux secs. C’est ce qui reste quand les bouches ne savent plus dire.
Alexandre Demidoff, Le Temps
NOYER LE POISSON POUR NE PAS FINIR EN QUEUE… DE POISSON
« On pense à Raymond et Huguette de la série Scènes de ménage, toujours en train de se chamailler. Avec la finesse de l’écriture de Louis Calaferte comme plus-value.(…). En assistant à L’Aquarium, on rit beaucoup, mais on est aussi touché (…) Les dialogues simples et réalistes sont portés avec une grande sincérité par ce duo qui fonctionne parfaitement ensemble. »
Fabien Imhof, La Pépinière
NOTES DE MISE EN SCÈNE
Françoise Courvoisier, juin 2025
Après avoir adapté et mis en scène déjà trois grands livres de Louis Calaferte, Requiem des innocents, Partage des vivants et Septentrion – des romans qui continuent à nous bousculer sept décennies après leur parution – je demeure extrêmement curieuse et admirative de cet auteur au parcours atypique, épris de liberté, et à l’œuvre littéraire aussi puissante que prolifique. Mes trois créations précédentes d’après son œuvre tendaient à mettre en lumière son écriture à la fois réaliste et lyrique. Aujourd’hui, je voudrais aborder son théâtre, constitué de 26 pièces divisées en deux volumes. L’Aquarium fait partie du premier volume, (Pièces intimistes). Dans son Théâtre intimiste, Calaferte développe un style à la fois simple et travaillé, des répliques courtes, des dialogues qui paraissent naturels, issus du quotidien. Mais dès les premières répliques, on sent un art aiguisé de l’observation, d’où nait un comique sans volontarisme, émergeant tout naturellement de la vie telle qu’elle est, malicieusement « croquée » par l’auteur. En effet, l’auteur raconte dans une interview que l’inspiration lui venait souvent lorsqu’il se mettait à dessiner.
Certains évoquent à propos du théâtre de Calaferte un « naturalisme avancé ». Je pencherai davantage pour un « naturalisme sélectif », poétique, voire musical. Comme chez Sarraute, il y a dans les échanges entre les protagonistes une rythmique bien précise, qui donne toute son importance aux silences et aux non-dits, permettant aux spectateurs d’imaginer la vaste toile de fond derrière les paroles laconiques et à première vue anodines des protagonistes. L’extrait suivant, tiré de la première scène de L’Aquarium, en est un parfait exemple :
La Femme
Tu as fini, j’enlève ton assiette ?
Geste machinal d’acquiescement du Mari qui se recule un peu sur sa chaise et se met à plier sa serviette. La Femme lui enlève la serviette des mains.
Laisse, elle est sale, je te la changerai demain.
Le Mari
Elle peut encore faire un jour…
La Femme
La mienne oui, pas la tienne.
Le Mari
Pourquoi, pas la mienne ?
La Femme
Parce que tu salis plus.
Le Mari, posant sa serviette sur la table
Une serviette, c’est fait pour s’en servir.
La Femme
Tu taches, qu’est-ce que tu veux que je te dise ?…
Mes pièces contiennent un aspect comique fort, évident, voulu, concerté ; mais en même temps ce comique est un comique de dérision. C’est un comique de constat. Une observation attentive, ironique, amicale, une manière très personnelle d’écouter, de retenir et de restituer, aux frontières de l’absurde mais en plein naturel, des conversations décousues, et qui font rythme, cadence, musique, façon de neutraliser le silence. Des personnages jamais caricaturaux, absolument innocents de toute caricature.
Louis Calaferte
Louis Calaferte met en scène des huis clos. Ses personnages donnent l’impression de ne presque plus sortir de chez eux et de ne voir personne en dehors du cercle familial. Ils fabriquent leurs propres prisons, se remémorant leurs rêves de jeunesse, ou bien ils attendent… Dans L’Aquarium, ils attendent l’ami d’enfance croisé par hasard à la poste, qui devrait venir prendre le café. On est amusé, touché, agacé, dérangé… Peut-être que Calaferte tente une forme de catharsis : donner envie aux spectateurs de lutter contre l’habitude, le désamour et l’ennui ?