9 NOVEMBRE – 28 NOVEMBRE 2021

De Hanokh Levin
Texte français, Laurence Sendrowicz, paru aux éditions Théâtrales, Maison Antoine Vitez

Avec Christian Gregori, Françoise Courvoisier et Julien Tsongas 
Mise en scène Françoise Courvoisier, avec la collaboration de Julien Tsongas
Assistante, Léa Déchamboux. Lumière Rinaldo Del Boca. Son Nicolas Le Roy
Photos Daniel Calderon

Horaires
Mardi 20h • Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h30 • Dimanche 17h
Relâche lundi • Horaire spécial vendredi 19 novembre, 19h

Du 17 au 21 novembre, en deuxième partie: CABARET ANTOINE & CHARLOTTE, 21h
à l’exception du dimanche, 17h. Avec Charlotte Filou et Antoine Courvoisier

SYNOPSIS

Je sais que chez vous non plus, c’est pas la joie. Mais vous au moins, vous pouvez vous aboyer dessus. Moi, je n’ai personne sur qui gueuler !
Gounkel, le voisin, Acte IV

Le titre, on l’aura compris, fait allusion à la vie conjugale. Lors d’une insomnie, Jonas décide de faire le ménage dans sa vie. Il commence tout simplement par éjecter sa femme du lit…

De l’effet de réel à la farce burlesque, il n’y a qu’un seul pas que Hanokh Levin n’hésite pas à franchir. Mais la satire n’en est pas moins caustique avec toujours, en sourdine, une dimension métaphysique qui interpelle le spectateur. Quand il n’aborde pas de sujets politiques, l’auteur israélien excelle à mettre en scène les aspirations et les désillusions du couple, où l’un comme l’autre se retrouvent coincés dans une interdépendance sans issue.

Né à Tel-Aviv en 1943, Hanokh Levin est mort en 1999. Il est l’auteur d’une œuvre dramatique considérable, qui comprend des pièces de théâtre, des sketchs, des chansons, de la prose et de la poésie.

Production Les Amis – Le Chariot

 

LA PRESSE

TRIBUNE DE GENÈVE

SCÈNES DE LA VIE CONJUGALE FAÇON HANOKH LEVIN, Katia Berger, 15 novembre 2021

Françoise Courvoisier monte Une laborieuse entreprise, farce tortueuse de l’auteur israélien devenu un familier du public genevois.

Depuis une petite dizaine d’années, à la suite du Shitz monté par Hervé Loichemol en 2014, on ne compte plus les incursions locales dans l’œuvre urticante de l’Israélien Hanokh Levin (1943-1999). Ses farces amères, ses mordantes satires politiques, ses lévitations métaphysiques offrent un terreau fertile aux créateurs allergiques à la langue de bois. Avec Une laborieuse entreprise, que Les Amis ont dû reporter d’un an, Françoise Courvoisier se risque dans l’ascension d’un versant plus intimiste, plus sinueux aussi, de sa production.

«Increvable détresse»
Les Popokh ont trente ans de mariage sur le dos. En proie à des insomnies, le quinquagénaire Yona (Christian Gregori, irréprochable dans son pyjama à carreaux) se débat avec ses rancœurs et ses désillusions. Il ne ménage pas Léviva (Françoise Courvoisier, touchante sous ses bigoudis en mousse), qui, depuis toujours, fait de son mieux pour rafistoler le couple. On les cueille en pleine nuit, quand Monsieur éjecte Madame «comme un tas de viande» hors du lit matrimonial. Fusent les injures, les menaces, les arguments qu’on devine éculés, et que vient tempérer ici ou là une fellation qui tourne court. Jusqu’à ce que Gounkel, un copain (Julien Tsongas, toujours plus fort), passe réclamer, d’une pierre deux coups, une aspirine et son chapeau. Et renvoie ce faisant aux époux un reflet solitaire de leur «increvable détresse» à deux…

Avec sa ligne de fond couleur charbon, cette comédie de chambre n’exerce pas moins que les fables incendiaires de Levin un effet astringent sur l’esprit du spectateur. Car ce dernier n’est à l’abri d’aucune rupture: de ton, quand le burlesque bascule soudain dans la féerie; de style, quand le sarcasme vire à la poésie; ni d’humeur, chaque fois que le pessimisme cède le terrain à de petites joies hédonistes. De quoi surprendre, sinon désarçonner. Quant à la mise en scène de dame Courvoisier, elle imite cette écriture imprévisible. Certes, on y rencontre de menus défauts, quelques imprécisions dans les intentions de jeu ici ou là, mais la fantaisie qui guette à chaque coin de réplique confère au spectacle une aura tout ce qu’il y a de sympathique. Et si propre à nos dérisoires existences de Popokh.

LA PÉPINIÈRE

DANS LA DÉPENDANCE DU COUPLE, Fabien Imhof, 12 novembre 2021

Être un couple et maintenir l’équilibre n’est pas aisé. On peut même dire qu’il s’agit d’une Laborieuse entreprise, ainsi que le dit le titre de la pièce satirique de Hanokh Levin. Françoise Courvoisier et Christian Gregori y interprètent brillamment un couple qui se déchire, pour mieux se rabibocher.

Sur la scène des Amis musiquethéâtre, on entre dans la chambre (et l’intimité aussi !) des Popokh, Yona est en pleine insomnie. Assis sur son lit, il partage au public son inconfort dans cette relation qui dure depuis 30 ans. Il n’en peut plus et cette fois, c’est décidé, il part. Ni une, ni deux, le voilà en train de préparer sa valise. Jusqu’au réveil de sa femme Léviva… S’ensuit une longue dispute dans laquelle elle fait tout pour le convaincre de rester. Sans surprise, on connaît déjà l’issue de cette discussion. Le scénario tourne en boucle entre l’envie de partir et celle de rester, jusqu’à l’arrivée de l’envahissant Gounkel, venu chercher en pleine nuit, dans le froid et sous la pluie, un cachet d’aspirine…

De l’interdépendance
L’écriture de Hanokh Levin est marquée par une forte présence d’un ton satirique. On le retrouve dans Une laborieuse entreprise. Et on peut le dire : on rit énormément. Yona n’arrête pas d’envoyer des piques toutes plus hilarantes les unes que les autres à sa chère Léviva, qui ne se laisse pas démonter. Le couple nous rappelle bien vite les Raymond et Huguette de Scènes de ménages : toujours à se disputer, mais avec toujours une grande complicité. Surtout lorsqu’il s’agit d’importuner les autres… Et dans ce couple où rien ne va plus – croit-on d’abord – on comprend rapidement que l’un ne peut pas vivre sans l’autre. Yona paraît ainsi en position de force lorsqu’il évoque son départ, bien décidé à mettre fin à cette relation. Seulement voilà, il dépend de Léviva financièrement. Et au moment de penser à son futur appartement miteux et à sa solitude, il y réfléchit à deux fois. Quant à Léviva, plus sentimentale, sa dépendance se situerait plutôt du côté affectif. Qu’on ne s’y trompe pas, il y a encore de l’amour entre eux ! Les deux personnages peuvent ainsi paraître archétypaux. Sans cela, les effets comiques ne seraient sans doute pas aussi efficaces ! Surtout, cela montre bien tous les aspects présents au sein de la relation, où l’amour ne fait pas tout… Et l’on comprend mieux le titre ce spectacle. Car le couple est bel et bien Une laborieuse entreprise, dans laquelle il faut mettre tout son cœur, son énergie, et faire quelques concessions pour qu’il fonctionne.

S’allier face à la solitude
J’évoquais tout à l’heure le lien avec les personnages de Scènes de ménages, plus que jamais complices lorsqu’il s’agit d’embêter une tierce personne. L’arrivée de Gounkel (Julien Tsongas), au pire moment de la dispute, tombe à point nommé ! Le « tout petit Gounkel » comme il aime à s’appeler ne veut surtout pas déranger : promis, il va juste prendre son aspirine et s’en ira. Vous l’aurez compris, il n’en est rien. L’importun cherche simplement la compagnie, lui qui se trouve dans une solitude extrême. Tous les prétextes sont bons pour envahir la chambre du couple, jusqu’à réclamer qu’on lui rende son chapeau préféré, prêté à Yona il y a plus de quinze ans… Quel meilleur moyen de se retrouver pour les Popokh que de s’allier pour mettre dehors leur « ami » ?

Au-delà de l’effet comique de la scène, c’est la dimension symbolique qui interpelle. Gounkel représente la solitude par excellence. En se retrouvant pour le mettre dehors, c’est directement la solitude qu’ils chassent de leur couple. Pour mieux se rendre compte que s’ils restent ensemble, c’est aussi pour ne pas devenir des Gounkel. Car à deux, on avance mieux, non ? Et si être un Popokh n’est pas tous les jours facile, on s’en accommode bien volontiers quand on voit la détresse dans laquelle se trouve Gounkel… Alors, vous êtes plutôt Popokh ou Gounkel ?

SCÈNES MAGAZINE

UNE LABORIEUSE ENTREPRISE, Rosine Schautz, 1er novembre 2020

Gounkel, le voisin solitaire, vient quémander un cachet d’aspirine au milieu de la nuit chez «les Popokh». Mais il tombe très mal...

En effet Yona a décidé de chambouler le cours de son existence, après trente ans de vie commune avec sa femme. Une nuit d’insomnie aura suffi à le décider et à le motiver à faire non un bilan de santé, mais le bilan de sa vie.  Il ne sait cependant pas par quoi commencer. Il opte pour un traitement pour le moins extrême: virer sa femme, de son lit d’abord, de sa vie ensuite.

Sa femme Léviva devient la brebis galeuse de son dépit : son envie de renouveau va dès lors se heurter au poids des années de ‘couple’. De ce constat lucide quoiqu’un peu aigre naîtra une scène de ménage d’anthologie entre les deux protagonistes. Ils se déchireront sous nos yeux, parleront de leurs amertumes, de leurs désillusions, même se déballonneront de leurs non-dits. La scène devient ring, les salves fusent. On est loin des ‘like’ faiblards qui nous inondent, on se rapproche des pollice verso (bas les pouces) des arènes romaines…

Car, en bon observateur caustique, Levin démonte les clichés qui veulent que le bonheur conjugal soit une réussite, qu’importent les années de vécu ensemble. La vie à deux peut parfois avoir des finalités autres qu’escomptées, peut-être parce que les rêves de vie de couple sont idéalisés, et probablement trop investis. Il fait de cette fausse comédie de boulevard un portrait grinçant qui voudrait déjouer la paix de la durée, et qui en fait montre un élan d’amour, très touchant, du ‘jour le jour’.

L’auteur israélien né en 43 à Tel-Aviv, et mort en 1999, excelle à mettre en scène les aspirations et ici les expirations du couple, quand chacun se retrouve piégé dans une complémentarité toxique, et de fait sans véritable issue. L’humour d’Hanokh Levin est féroce, met dans le mille, son écriture très serrée fait sourdre des dialogues incisifs et fatals. Donc comiques aussi. Des pointes, des flèches pleines de curare.

RADIO VOSTOK

Françoise Courvoisier “LE COUTEAU SUISSE DE LA CULTURE”, Pierre Romanens, 08 novembre 2021

 

 

 

NOTES DE MISE EN SCÈNE

Françoise Courvoisier, Septembre 2020

DEHORS – DEDANS
Hanokh Levin est à mes yeux le maître du « dehors-dedans ». On sent pulser la vérité sous les répliques, malgré leur fréquente invraisemblance. C’est à la fois énorme et subtile. La subtilité se situe dans cet accent de vérité sous-jacent, toujours, et l’absence de gratuité. Il nous amène à rire pour mieux nous faire « digérer » la violence du propos. C’est sa ruse, ou plutôt son élégance. Là, le tableau épouvantable qu’il nous montre : Le couple. La vie conjugale sur plusieurs décennies… Aïe aïe aïe. Il faudrait mettre un écriteau à l’entrée du théâtre, les soirs de représentations : Sans humour sur soi, s’abstenir.

Jouer le rôle de Léviva me permet ce rapport parfois très dérangeant pour un metteur en scène mais ici très intéressant : jongler concrètement avec le balancier du « dehors-dedans ».
Au fil de l’apprentissage du texte je découvre à quel point – sous la farce comique – se situe un cri de désespoir face à l’injustice faite aux femmes. Parfois je suis ma mère, qui avait arrêté ses études pour suivre mon père dans sa carrière, qui a été heureuse mais qui a offert tout son temps, sa jeunesse et sa beauté à un seul homme, l‘homme de sa vie, qui parfois peut-être l’a trahie, ou déçue…
Léviva est la somme de toutes les femmes déçues, d’ailleurs en partie responsables de leur rôle de victime, mais profondément meurtries par la petitesse de l’homme, qui parfois ne pense qu’avec sa queue…

LE CRI
Si Léviva frôle parfois l’hystérie, c’est parce qu’elle ne sait pas se défendre autrement que par une acceptation taiseuse ou des accès de colère non contenus. Mais elle a du bon sens. Elle sent qu’il y a quelque chose de profondément injuste dans la distribution des rôles. Comme elle ne possède pas le vocabulaire nécessaire, le plus souvent, elle encaisse en silence ou elle crie. Seule arme qu’elle possède dans son impuissance à changer la fatalité : elle a bâti toute sa vie sur son couple et n’existe pas en dehors de lui. « Il est à moi, j’ai tout investi sur lui, trente ans de ma vie ! » sont ses seuls et pauvres arguments pour retenir son mari lorsqu’il veut la quitter…
Jonas est plus vif d’esprit et possède mieux le maniement de la langue. Si ses propos sont souvent cyniques et pétris de mauvaise foi, son sens de l’humour est extrêmement efficace. Ce qui ne l’empêche pas d’être lui aussi terriblement vulnérable, ce qui nous le rend attachant.

Au début du travail, j’aimais cette pièce pour son regard caustique sur la vie de couple et les situations désopilantes, notamment l’arrivée du voisin venu chercher son chapeau… Mais j’avais le sentiment que Léviva, l’actrice comme le personnage féminin, n’avait pas d’arguments pour se défendre… Qu’elle n’était que victime.
En travaillant plus en profondeur, j’ai senti battre son cœur, et celui de toutes les femmes de la terre. Hanokh Levin a tellement bien su décrire à travers ce personnages le désarroi des femmes « dépendantes » de leur mari ou de leur amant. Et des femmes « dépendantes » d’un homme, affectivement ou(et) financièrement, il y en a hélas encore tant aujourd’hui, partout dans le monde ! Chez les riches comme chez les pauvres. Et ce cripour plus de justice, plus de respect pour la femme : belle ou moche, jeune ou vieille, spirituelle ou simple, m’est apparu essentiel. C’est le noyau de la pièce, tellement puissant que je ne pouvais pas tout de suite l’entendre.

L’IMPUISSANCE
Dans sa « Laborieuse entreprise », Hanokh Levin ne se prive pas de nombreuses allusions, sans trop de précaution à l’égard de spectateurs pudibonds ou vexatiles, à la baisse de libido masculine au fil du temps… Bien sûr l’arme est facile pour l’épouse délaissée et la réplique du mâle impuissante de même : « avec d’autres, je batifole comme un jeune jaguar ! ».
Mais tout cela sonnerait un peu creux s’il n’y avait pas en sourdine une dimension plus large. Chez Levin, l’impuissance physique est surtout une métaphore de l’impuissance de l’homme à maitriser son destin. Et pas seulement le sien, mais celui du monde. C’est une satire de l’orgueil immense et ridicule de l’homme à vouloir posséder, se sentir supérieur…