17 – 21 AVRIL 2024

Extraits de l’œuvre de Charles Baudelaire

Avec Françoise Courvoisier et Béatrice Graf (percussions)
Lumière, Rinaldo Del Boca. Son, Nicolas Le Roy. © Anouk Schneider

 

Horaires
Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h • Dimanche 17h

SYNOPSIS

Lorsqu’elle découvre Les Fleurs du mal, encore adolescente, Françoise Courvoisier est littéralement aimantée par ces poèmes.
 » Cette infinie noirceur – aujourd’hui on dirait neurasthénie ou dépression – traversée par de brefs éclairs de bonheur et d’extase, m’enchantait. Et m’enchante encore. Seule la tiédeur semble à bannir dans cette oeuvre où se côtoient Spleen et Idéal. Et malgré le fond très sombre des Fleurs, grâce à la constante présence de la lumière, le lecteur en ressort comme vivifié. « 

Anges revêtus d’or, de pourpre et d’hyacinthe
Ô vous ! soyez témoins que j’ai fait mon devoir
Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte
Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence
Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or

Créé le 25 mai 2023 pour une date unique aux Amis musiquethéâtre, la comédienne Françoise Courvoisier et la percussionniste Béatrice Graf, encouragées par l’enthousiasme du public, ont eu envie de poursuivre leur voyage dans l’œuvre magistrale de Charles Baudelaire.

Approcher Baudelaire, c’est plonger dans un gouffre. D’extase, mais aussi de tristesse ou d’aquabonisme. Les émanations morbides du poète alternent heureusement avec des élans vers la clarté, vers la beauté ou encore vers la pureté.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les cieux lumineux et sereins

Production Les Amis – Le Chariot

 

 

LA PRESSE 

 

ENTRE BEAUTÉ ET CHAROGNE, L’INCONTOURNABLE BAUDELAIRE

Bertrand Tappolet, Leprogramme.ch,
15 avril 2024

Les Fleurs du Mal, le chef-d’œuvre poétique de Charles Baudelaire est une collection de poèmes qui a révolutionné la poésie française et a profondément influencé la littérature moderne. Françoise Courvoisier en choisit les plus saillants à son goût. Pour les délier dans le rythme tour à tour syncopé et atmosphérique de l’artiste batteuse Béatrice Graf, Prix suisse de la musique 2019. Ces instants poétiques hyperréalistes et sensoriels sont à cueillir du 17 au 21 avril au Théâtre des Amis.

La femme de théâtre parcourt dès l’adolescence Les Fleurs du Mal, dont le choc des contrastes la magnétise. Baudelaire n’hésite pas à vouloir transmuer par son alchimie poétique la boue en or. En témoigne Une Charogne, où le poète excelle à versifier l’amour surgissant d’un cadavre en décomposition. En mêlant le crépuscule à des lueurs épiphaniques et vitales, ce sommet de la poésie lyrique allie richesse métaphorique et précision du détail. Baudelaire recourt à un langage riche et innovant.

L’œuvre explore des thèmes variés: l’amour, la mort et l’au-delà, la révolte et l’ennui, la beauté, la corruption tout en sondant les profondeurs de l’âme et les contradictions de la condition humaine. L’œuvre reste pertinente tant elle embrasse avec une grande liberté de ton la solitude et l’intranquillité existentielle qu’accompagne la quête du sens dans un monde en constante mutation. Sentiment de solitude, mélancolie, introspection, amour flou et déçu, viscéral et idéal, tout cela fait écho à notre aujourd’hui. Une belle redécouverte que ces Fleurs qui fouettent aux sens, brûlent à l’âme, font vivre un moment suspendu.
Et nous sentir plus que vivant.e. Jusque dans la tombe. Rencontre avec Françoise Courvoisier.

Qu’avez-vous retenu des Fleurs du mal dans le choix des textes?
Françoise Courvoisier: À mes yeux, il s’agit d’une œuvre foisonnante et asexuée. Souhaitant que le spectacle ne dépasse pas les 1h15, j’ai choisi deux thèmes principaux. Le premier est baudelairien en diable, c’est le Spleen. Il conjugue des états d’âme et moments où la vie se révèle si lourde et sombre.

Puis, en contrepartie, surgissent ces éclats de lumière et d’amour de la vie si chers au poète. Cette infinie noirceur – aujourd’hui on dirait neurasthénie ou dépression – traversée par de brefs éclairs de bonheur et d’extase, m’enchantait. Et m’enchante encore. Seule la tiédeur semble à bannir dans cette œuvre où se côtoient Spleen et Idéal.

Pour la présence des figures féminines j’ai choisi certains poèmes amoureux car Baudelaire laisse une large place aux souvenirs. Les souvenirs des amours défuntes en l’occurrence. Prenez, le fameux poème intitulé Le Balcon. On y lit: «Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,/Oh , tous mes plaisirs! ô toi, tous mes devoirs!/Tu te rappelleras la beauté des caresses…»

L’une de vos premières impressions?
Je retiens précisément d’abord ce poème Le Balcon, sulfureux et sensuel. C’est ainsi la sensualité des sonorités de la langue du poète qui m’a attirée. Baudelaire parle de la faculté du poète à infuser du miel et des odeurs dans la langue. Il y a également Au lecteur.

Il s’agit du premier poème introductif des Fleurs du mal, d’une prodigieuse virtuosité, très agressif et provocateur, qui décrit l’immensité de la bassesse humaine et son vice le plus dangereux : l’Ennui (avec un grand E) avec cette adresse finale : «Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère!»

Sur la vie amoureuse du poète…
J’ai lu de nombreux ouvrages biographiques sur Baudelaire. Il se trouve que dans ses relations amoureuses, il se révèle aussi victime. Le poète était un amoureux fou. L’un de ses premiers amours était une prostituée à laquelle il donne tout.

Il s’éprend ensuite de Jeanne Duval, une jeune femme mulâtresse qu’il aima avec une grande générosité alors que cette femme n’était avec lui que par intérêt. Cette relation dura vingt ans jusqu’au décès de Jeanne minée par l’alcoolisme. Baudelaire a donc cette excessive adoration-haine pour le féminin. Si l’adoration est aussi forte et prégnante que la détestation, ces sentiments viennent d’un être bousculé, manipulé et trahi par ses relations féminines. On relève son idéalisation de la femme dans Le Balcon et au gré de sublimes poèmes comme La Chevelure ou L’Invitation au voyage, Baudelaire est une figure complexe, «atrabilaire» comme il se qualifie lui-même.

On ne peut absolument pas le réduire à certains de ses propos provocateurs et tranchants sur les femmes. Baudelaire en veut bien plutôt ici à des êtres qui l’ont fait souffrir – femmes ou hommes. D’où parfois cette amertume, de la haine même.

Comment voyez-vous ce balancement entre extase et tristesse abyssale chez Baudelaire?
S’immerger dans l’univers des Fleurs du mal revient à explorer un abîme de sensations contradictoires, oscillant entre l’extase et la mélancolie, parfois teinté de scepticisme. Les vibrations sombres du poète sont, fort heureusement, contrebalancées par des aspirations vers la lumière, la beauté et la pureté.

Ainsi dans Elévation, je relis ces lignes qui résument bien la position de leur auteur: « Derrière les ennuis et les vastes chagrins/ Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse/Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse/S’élancer vers les cieux lumineux et sereins.»

À en croire Baudelaire dans l’un de ses projets de préface, la poésie «touche à la musique par une prosodie dont les racines plongent plus avant dans l’âme humaine que ne l’indique aucune théorie classique…»
Pour cette aventure poétique, j’ai fait appel à Béatrice Graf, une percussionniste renommée pour son dynamisme, son originalité et sa faculté à naviguer entre force et tendresse dans ses performances.

Baudelaire s’y révèle dans son rythme et ses images comme un poète moderne, dans le sens où il invente de nouvelles formes. On assiste par exemple à des rythmes syncopés au gré de son poème, Une Charogne, qui paradoxalement n’est autre qu’une déclaration d’amour masquée.

Que l’on songe à ces vers: «Alors ô ma beauté, dites à la vermine/qui vous mangera de baisers/Que j’ai gardé la forme et l’essence divine/De mes amours décomposées.» Il est beau de voir que de ce passage quasi-immoral et d’une grande noirceur, jaillit une déclaration d’amour, une forme de foi dans le souvenir et que toujours quelque chose subsiste.

Il vous étonne?
Oui. Le poète est aussi audacieux et tout le temps surprenant dans le choix de ses images, comparant une poitrine à une armoire. Il a une crudité, une liberté de ton si originale qu’il ne tombe jamais dans le cliché littéraire. Cette dimension participe aussi de la difficulté parfois à mémoriser certains passages des Fleurs du mal.

J’ai aussi gardé son magnifique Épilogue: «Ô vous, soyez témoins que j’ai fait mon devoir/Comme un parfait chimiste et comme une âme sainte./Car j’ai de chaque chose extrait la quintessence,/Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or.»

 

DÉCLAMER ET RACONTER BAUDELAIRE

Lisa Rigotti, La Pépinière,
21 avril 2024

Baudelaire en rythme, en poésie et en faits, voilà ce qui est présenté dans Fleurs du mal, du 17 au 21 avril chez Les Amis musiquethéâtre.

Si vous deviez choisir une quinzaine, voire même seulement une douzaine de poèmes de Charles Baudelaire, lesquels prendriez-vous ? Pour Françoise Courvoisier, deux thèmes s’imposent et s’opposent, la neurasthénie et l’amour, une  » infinie noirceur traversée par de brefs éclairs de bonheur et d’extase « .

J’avoue avoir eu peur quand, après la première déclamation sombre, l’extase est venue sous forme d’une danse sur de la percussion que j’ai, à titre tout à fait personnel, trouvée très gênante. Heureusement, la suite n’a consisté que d’une heure de déclamation en rythme dans une ambiance méditative qui m’a transportée et ramenée à ma propre découverte de Baudelaire il y a un peu plus d’une quinzaine d’années.

La grande réussite de ce spectacle est la maîtrise de l’équilibre entre les différents éléments. Le plus marquant est celui entre la musique et la poésie. La force ou douceur de l’accompagnement musical de Béatrice Graf est si adapté aux poèmes et à la déclamation de ces derniers que les auditeurs et auditrices plongent dans les émotions de l’auteur et de la comédienne sans autre compagnon de voyage que le son. Les faits biographiques viennent agir en respiration, permettant d’apaiser la force des émotions sans nous sortir du chemin sur lequel la pièce nous emmène.

Un voyage au cœur de Baudelaire sans fil rouge autre que l’alternance, entre rêve sombre et lumineux, entre songe et réalité, entre spleen et idéal. Un non-manque de suivi qui permet d’éviter la recherche absolue de sens pour se concentrer dans l’émotion du moment présent, ou chacun·e retient son souffle au rythme choisi par l’auteur, soutenu par la voix de la comédienne.

Pourquoi auditeur et auditrice et non spectateur et spectatrice me demanderez-vous ? Après-tout une pièce de théâtre, même musicale, ça se regarde autant que ça s’écoute. Normalement oui, mais là non.

Bien que l’utilisation de l’espace scénique permette de séparer les différents moments et poèmes, la lumière aurait gagné à être moins en adéquation avec le rythme et les mots. Car si du spleen à l’idéal il n’y a qu’un « et » dans le chapitre de Baudelaire, en termes de luminosité, passer de l’intimité à la puissance, c’est peu agréable pour ceux dont les yeux sont fragiles. Heureusement pour les spectateurs et spectatrices dans ce cas, être auditeur ou auditrice est amplement suffisant pour apprécier la grandeur de Baudelaire via la déclamation de Françoise Courvoisier et la rythmique de Béatrice Graf. Jusqu’à l’explosion finale permettant non seulement d’exprimer la force des émotions positives de Baudelaire mais également de nous sortir de cet état de transe pour nous conduire sur le chemin du retour à la réalité.

Je conclurai simplement en encourageant, celle et ceux qui souhaiteraient déclamer du Baudelaire en musique à le faire, sans entraves ni hésitations. Le concept a été fait et refait, que ce soit par des figures emblématiques comme Mylène Farmer (l’horloge, 1988) ou des artistes genevois moins connus comme Guillaume Pidancet et Michael Pellegrini (Projet XVII : Baudelaire, 2017). C’est maintenant au tour de Françoise Courvoisier et Béatrice Graf (Fleur du Mal, 2023), et ensuite ? Le champ des possibles reste large et le concept intemporel, alors lancez-vous si le cœur vous en dit et je me ferai une joie de venir vous écouter.