12 MAI – 23 MAI 2021

Chansons d’Anne Sylvestre

Avec Margarita Sanchez, Christine Vouilloz, Floryane Hornung
Sophie Solo et Florence Melnotte (piano)
Conception & mise en scène Françoise Courvoisier
Lumière Rinaldo Del Boca. Photos Anouk Schneider

Horaires
Mercredi, jeudi vendredi, samedi 21h • Dimanche, lundi 19h
Relâche mardi 18 mai et vendredi 21 mai

Aux mêmes dates, jusqu’au 23 mai: PARTAGE DES VIVANTS de Louis Calaferte (création)
le mardi à 20h, du mercredi au samedi à 19h, le vendredi à 20h30, le dimanche à 17h
Avec Felipe Castro et José Lillo.

SYNOPSIS

C’est avec gourmandise que les quatre comédiennes chanteuses s’emparent des chansons d’Anne Sylvestre, accompagnées au piano par une pianiste de jazz d’exception. Le spectacle, créé en décembre 2019, avait enchanté le public.
« Un spectacle immanquable… Un moment de grâce », écrit Lucas Vuilleumier dans Le Courrier.
L’auteure-compositrice, qui nous a quittés tout récemment à l’âge de 86 ans, nous laisse un répertoire débordant d’humour et d’intelligence. Ses chansons sont multicolores : tantôt malicieuses et tendres, parfois franchement féministes (Une sorcière comme les autres, Juste une femme…) et souvent très drôles (Les grandes balades, Ça n’se voit pas du tout, Les hormones…).

Production Les Amis – Le Chariot

 

LA PÉPINIÈRE

TEL UN VIEUX VINYLE, Jacques Sallin, 22 mai 2021

Ou la joie de voir sur scène le son d’un 33 tours Faites-vous légers – Chansons d’Anne Sylvestre, dans une mise en scène de Françoise Courvoisier, à voir au théâtre Les Amis, jusqu’au 23 mai.

Dans le foyer du théâtre, autour des tables de bois, on parle, on échange à propos du spectacle précédent Partage des vivants. La qualité du texte, du jeu et surtout de l’émotion reçue : on parle de bonheur le sourire aux lèvres. Car certains spectateurs ont enchaîné les deux spectacles proposés par le Théâtre Les Amis, pour une soirée entière de divertissements variés.

Vaste espace noir, piano laqué, des personnages assis sur un banc, un autre au sol, immobiles. C’est le Musée Grévin sans fioritures. Les chansons d’Anne Sylvestre n’ont pas besoin de décors, tant elles les contiennent. C’est toute la force évocatrice de cette chanteuse de cabaret « Rive Gauche » très populaire dans les années vinyle et qui a quitté ce monde en novembre de l’année dernière.

C’est la puissance de la scène nue qui s’impose avec juste une ou deux touches de couleur, un jeu de scène plus dans le geste que dans le mouvement, plus dans le détail que dans l’effet, plus dans l’intention que dans l’exclamation. Une mise en scène de Françoise Courvoisier tout en touches impressionnistes d’un spectacle qui nous montre le son d’un 33 tours.

Quatre interprètes (Margarita Sanchez, Christine Vouilloz, Floryane Hornung, Sophie Solo) se saisissent avec force, joie et complicité de l’univers d’Anne Sylvestre, de cette râleuse au grand sourire qui croquait le monde avec des rimes à la Brassens, avec une tendresse particulière pour les femmes naturellement et parfois pour celles qui ratent les mayonnaises. Des chansons qui ne parlent pas de là-bas, qui ne parlent pas d’ailleurs, qui évoquent l’ici et le maintenant d’autrefois qui ressemble terriblement à celui d’aujourd’hui. Des chansons qui parlent d’un monde qui claudique, comme il l’a toujours fait, comme Anne Sylvestre l’a toujours écrit et décrit avec des mots dont elle s’efforçait de prendre soin.

Puissance du noir donc, avec un début de représentation saisissant. Assise au sol, petite, ramassée telle une « cosette », Christine Vouilloz amorce le spectacle en chantant a cappella, montrant ainsi qu’une chanson c’est d’abord un texte et une voix. Tout le reste, c’est comme l’alcool, il faut en jouer avec modération.

Les quatre femmes se saissisent de l’entier de l’espace et du volume de la scène. Ce sont les sœurs « Jacques » en noir et blanc avec la même connivence dans le regard et dans le geste. Elles nous proposent un univers si puissant que le public n’ose le troubler en applaudissant entre chaque titre. Alors, l’humour de la chanson « Langue de P… » fait déborder le vase et les bravos jaillissent des fauteuils, car « cinq minutes de langue de p…, c’est fou comme ça fait du bien » comme l’entier du spectacle d’ailleurs.

Sous le « Smooth Jazz » de Florence Melnotte, pianiste, on aime aussi la grincheuse (Floryane Hornung) à qui le grand air fiche de l’urticaire, la voix chaude et grave de Margarita Sanchez ainsi que la délicatesse de Sophie Solo. C’est une parfaite harmonie qui est proposée, qui soutient tous les univers des plus drôles au plus fâcheux tel celui qui évoquent ceux qui pratiquent « L’excuse » et qui participent – innocents aux mains pleines – au carnaval moche de la violence faites aux femmes, aux mères et aux filles. Une chanson qui bénéficie – ainsi que les autres tableaux – d’un éclairage de scène particulièrement juste et efficace de Rinaldo Del Boca.

L’univers de cette « Brassens en jupon » nous est donné avec toute la modération requise certes, mais avec des alcools de qualité et quatre grands crus. Ces quatre femmes nous offrent un autre « Bistrot préféré » que celui de Renaud, peuplé lui uniquement par le vestiaire homme des gens de plumes et de notes. C’est un comptoir quelque part sur la terre, fréquenté par des humains féminins mais pas que, qui possèdent le talent et la force de l’ordinaire, avec leurs joies, leurs soucis, leurs rires et leurs frustrations. Des textes ciselés et des mélodies pour amoureux de la gamme, le public boit les chansons comme un blanc cass’ ou un demi, et on entend parfois du fond de la salle des « Mercis ».

Alors en quittant le théâtre, s’ajoutent les commentaires de ceux qui remettent leurs manteaux avec des étoiles dans les yeux : « Je ne connaissais pas toutes les chansons », « Tu as aimé ? oui, beaucoup ». Au Théâtre Les Amis, le bonheur s’est retrouvé par deux fois devant les planches ce soir-là. Il suffit simplement de laisser traîner son écoute pour s’en convaincre.

 

LE COURRIER

DES HUMAINES COMME LES AUTRES, Lucas Vuilleumier, 19 décembre 2019

Au Théâtre des Amis, sans fausses notes, quatre comédiennes chantent l’éternel féminin des titres d’Anne Sylvestre

Ce ne sont pas des femmes puissantes. Ni fragiles. Quatre comédiennes et une pianiste. Des humaines que Françoise Courvoisier met en scène au Théâtre des Amis, qu’elle dirige, dans un spectacle qui est comme Anne Sylvestre, qu’elles chanteront pendant plus d’une heure. C’est-à-dire immanquable, à tel point que 2019, qui tire sur la fin, serait moins belle sans avoir vécu ce moment de grâce. Comme serait moins belle une vie sans les chansons d’Anne Sylvestre. Pour découvrir l’artiste, vous avez toute la vie. Pour ce spectacle, en revanche, vous avez jusqu’au 31 décembre.

On dirait qu’elles chantent moins les femmes que la vie tout entière. Cette vie qu’elles donnent, même si la leur peut parfois leur être volée ou gâchée, ne va faire d’ailleurs qu’exploser au visage du public de Faites-vous légers! L’injonction en question, d’une bienveillante violence, est celle d’«Une sorcière comme les autres», hymne-fresque qu’Anne Sylvestre publie en 1975 dans un album du même nom, et qui cristallise la substance lumineuse de ce spectacle. «Vous m’avez aimée servante / M’avez voulue ignorante / Forte vous me combattiez / Faible vous me méprisiez.»

Sous la foudre et le feu
Dans une sobriété qu’elles transgresseront par le pouvoir des mots rugueux, sales ou exaltés de la plume d’Anne Sylvestre (avec Florence Melnotte au piano), le spectacle s’ouvre sur la «Berceuse de Bagdad», où Christine Vouilloz fait naître instantanément l’amour éclatant de modestie d’une mère qui, «sous la foudre et le feu», éprouve le sublime égoïsme de mettre au monde un enfant, malgré tout. Plus que jamais, être une femme est aussi cette chance d’être mère, et dans cet accouchement de mots si évocateurs se faufile toute l’éternité de la vie. Un enfant naît. Les problèmes de la guerre des hommes, ainsi que celle qu’il faudra mener contre eux, tout cela sera pour plus tard.

Ce fils, ce frère, ce mari, ce père… Cet homme nourri à leur sein sera la cause de leur tourment. Mais rien n’est militant, pourtant, dans ces odes choisies par Françoise Courvoisier, moins un florilège qu’une variation sur le thème féminin, où on s’abaisse, on chante l’humiliation, on réclame la lumière et on sait aussi pratiquer l’autocritique. Comme dans «Langue de pute», où le plaisir de cracher son venin est si bien incarné par ces amies accoudées à leur zinc que ces montées de fiel en redeviennent universelles.

Ecrire pour ne pas mourir
D’autres moments légers font rire le public des Amis, comme la grincheuse rengaine «Les grandes balades», où la désopilante Floryane Hornung, sac au dos, peste contre l’exercice, le grand air et la nature où, il faut bien le dire «y a pas de magasins». S’y conjugue aussi la présence exceptionnelle de Sophie Solo, la trop confidentielle chanteuse genevoise. En clin d’œil à sa propre carrière, lui confier «Ecrire pour ne pas mourir» – qu’Anne Sylvestre rédige en 1985 en pleine chimiothérapie – est une des autres prouesses de ce récital théâtral.

La chanson «Frangines» suggère encore que les contraintes d’une société patriarcale et machiste ont peut-être fait oublier à certaines femmes qu’un peu plus de sororité aurait rendu le combat moins dur. Mais comment se blâmer d’avoir parfois voulu tenter de tirer son épingle du jeu, puisque le jeu s’est montré bien complexe? Bientôt main dans la main ou le bras lové autour de la taille de l’autre, les quatre comédiennes émeuvent, réunies autour de Margarita Sanchez, dont la reconnaissable voix rauque et l’élégance argentée achèvent de rendre ce spectacle moins féminin qu’éternel.