24 MAI – 28 MAI 2023

Hommage à Grisélidis Réal

Avec Nancy Huston et Coraly Zahonero de la Comédie-Française

Horaires
Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h30 • Dimanche 17h

SYNOPSIS

Pour moi le réel est la fiction et la fiction est le réel. Grisélidis Réal

Cette lecture-spectacle proposée par la romancière Nancy Huston et la comédienne Coraly Zahonero réunit des textes extraits de Reine du réel et de Chair Vive. Donnée pour la première fois à la Maison de la Poésie à Paris, le 8 mars 2022, elle fait écho au film-spectacle intitulé Reines du réel, présenté par Françoise Courvoisier dans le cadre de la Bâtie Festival l’automne dernier, avec la collaboration du chef opérateur Denis Jutzeler.

Coraly Zahonero entre à la Comédie-Française en 1994 et en devient sociétaire six ans plus tard. Elle a le panache, en 2016, d’imposer dans cette antique institution parisienne l’écriture d’une prostituée genevoise : Grisélidis Réal, avec un solo intitulé Grisélidis, qu’elle met en scène et interprète elle-même. C’est en découvrant son spectacle au Festival d’Avignon que Nancy Huston changera son regard sur notre héroïne des trottoirs. Quelques années plus tard, en février 2022, elle publiera aux éditions NiL sa magnifique Lettre à Grisélidis Réal intitulée Reine du réel; et c’est sous son impulsion que sera édité Chair Vive, un recueil réunissant l’ensemble des poèmes de Grisélidis dont elle signe la préface (Seghers, 2022).

La complicité entre l’écrivaine canadienne à la bibliographie impressionnante et la talentueuse actrice de la Comédie-Française apporte à cette lecture-spectacle un charme tout particulier.

Production : Maison de la Poésie, Paris

 

LA PRESSE 

NANCY HUSTON À GENÈVE
Le Temps, 25 mai 2023

L’écrivaine franco-canadienne et la comédienne Coraly Zahonero jouent «Chairs vives», aux Amis, à Carouge. Un hommage à la reine du macadam, qui retrace sa vie avec honnêteté et empathie

Grisélidis Réal n’a pas toujours été cette pasionaria de la prostitution qui, à travers l’association Aspasie et son combat genevois, a donné un statut juridique aux travailleuses du sexe. Dans ses jeunes années, en Allemagne, puis dans la Cité de Calvin, elle a touché et même raclé le fond, note Nancy Huston, en faisant commerce de son corps.

«Loin d’être une partie de plaisir, c’est bien plutôt une TORTURE, écrit Grisélidis à son ami Maurice Chappaz, au milieu des années 1960. Chaque matin, à l’aube, il me semble qu’un troupeau de pourceaux m’ont piétinée, meurtrie, bavé dessus. C’est une sensation d’humiliation et d’horreur, qui me pousserait, au-delà de la nausée, jusqu’au meurtre.»

Ces propos radicaux, on les trouve dans Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal, un très beau travail d’enquête et de dialogue mené par Nancy Huston et publié l’an dernier aux Editions Nil. L’écrivaine franco-canadienne, elle-même marquée par l’abandon de sa mère lorsqu’elle avait 6 ans, s’identifie à Grisélidis Réal, qu’elle n’a jamais rencontrée et qu’elle a même réprouvée au départ.

«Longtemps je t’ai détestée, Gri. On eût dit que tu acquiesçais à tout ce que les hommes te demandaient. Tu semblais n’avoir aucun problème pour incarner leur fantasme: la pute au grand cœur, celle qui aime ça, celle qui comprend les messieurs et ne les juge jamais, celle qui accepte avec le sourire leur tout et leur n’importe quoi», confie-t-elle sur la scène des Amis, à Carouge, dans Chairs vives, lecture-spectacle qu’elle a conçue avec Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française et passionnée par Grisélidis Réal.

Sororité salvatrice
Mais alors, lui demande-t-on après la représentation de mercredi, soir de première, quels sont les éléments qui ont permis à Nancy Huston de se rapprocher de la prostituée si souvent humiliée? «Il y a deux aspects, répond l’écrivaine avec son intimidante froideur marmoréenne. D’abord, j’ai mené l’enquête aux archives de Berne et j’ai compris par quoi était passée cette petite fille éprise de liberté, qui a été broyée par un système moral corseté. Ensuite, je me sens proche de la militante qui, dès qu’elle a trouvé une sororité auprès des prostituées à Paris, au début des années 1970, n’a plus jamais accepté d’être violentée et a magnifiquement défendu un travail du sexe digne et respectueux.»

Cependant, dans la lecture-spectacle à voir aux Amis jusqu’à dimanche, c’est plus la première partie de la vie de Grisélidis qui est mise en lumière. Sa course haletante pour rester libre, hors du carcan bourgeois, tout en luttant contre la misère. Ses grossesses multiples, 11, pour «sept avortements et fausses couches, scènes de boucherie» et quatre enfants qui seront souvent placés. Ses sept tentatives de suicide; ses amours compliquées avec Bill, un Africain américain schizophrène qui l’emmène en Allemagne et la force à se prostituer, puis son incarcération, toujours à Munich, pour avoir dealé du cannabis…

Matière sombre
Une matière sombre que Nancy Huston restitue tranquillement, sans jugement, tandis que Coraly Zahonero, enfilant les fameux bracelets serpents de Grisélidis Réal, interprète des poèmes pleins de vie et d’amour, composés par la reine du macadam. C’est que, pour Grisélidis comme pour Nancy, écrire a permis de guérir.

«Pour moi, le réel est fiction et la fiction est réelle», dit l’écrivaine franco-canadienne à l’entame du spectacle avant d’établir un lien entre l’écriture et le rapport difficile à la figure maternelle, absente pour Nancy, dure pour Grisélidis. Des mères auxquelles les deux femmes doivent leur goût du danger. Comment mieux punir sa génitrice, sinon en mettant en péril ce corps qu’elle avait pour mission de protéger? questionne l’écrivaine.

La soirée fait un bel écho à Reines du réel,un très beau spectacle de septembre dernier, dans lequel Françoise Courvoisier, amie de l’égérie des Pâquis, dialoguait avec Nancy Huston et Grisélidis Réal apparaissant sur écran. Pour la directrice des Amis, Grisélidis Réal est plus qu’une passion, c’est un vecteur de vie.
Marie-Pierre Genecand

 

 

CHAIRS VIVES
Scènes magazine, mai 2023

Cette lecture-spectacle proposé par la romancière Nancy Huston et la comédienne Coraly Zahonero réunit des extraits de Reines du réel et de Chairs Vives.
Donnée pour la première fois à la Maison de la Poésie à Paris en mars 2022, elle fait écho au film-spectacle intitulé Reines du réel présenté par Françoise Courvoisier dans le cadre de la Bâtie Festival l’automne dernier, avec la collaboration du chef opérateur Denis Jutzeler. 

Il était une fois, en amont
Grisélidis Réal, écrivaine et prostituée suisse, a fui très jeune son milieu bourgeois, calviniste, luthérien, bref protestant hard pour se créer sa liberté. Sa vie olé-olé fut marquée presque dès le début par le savoir-dire non (où mettre les tirets ?)” aux diktats imposés. Et peut-être que ce n’est pas si évident à comprendre, et au final à décrypter. Dire non, pour ensuite dire oui. C’est ce que creuse Nancy Huston.

Grisélidis ? un nom qui fleure bon, qui rime avec iris, un prénom qui existe dans des contes de Perrault… Qui donne l’envie de vivre dans les anémones.

Or, ce nom donnera autre chose à la postérité. Il enverra un message différent, moins fleur bleue. Plus militant et complètement libertaire.

Car Grisélidis se bat. Contre elle-même, contre sa famille, contre ses amants qui la prônent. Et aussi elle se bat contre une “vista” des femmes, et pour un métier qu’elle fait. Bizarrement, elle se bat contre / pour être ce qu’elle veut être, rebelle et dingo. Au détriment de ses enfants, de ses amis…

Coraly Zahonero
Grisélidis Réal a fasciné la comédienne Coraly Zahonero. Du coup, cette dernière lui a consacré en 2016 un Seule en scène. Entrée à la Comédie-Française en 1994, institution dans laquelle elle devient sociétaire six ans plus tard, elle en a 2016 l’idée iconoclaste et intéressante voire extrême, d’imposer dans cette austère (mais pas que…) institution parisienne, l’écriture d’une prostituée genevoise : Grisélidis Réal, avec un solo intitulé Grisélidis, qu’elle met en scène et interprète elle-même.

Nancy Huston
C’est en voyant son spectacle à Avignon que Nancy Huston, qui connaissait de loin l’extravagante Suissesse, comprend que Réal la sulfureuse, non seulement la dérange et la fascine mais la concerne aussi, car comme elle, elle a un discours sur les femmes. Elle écrit donc une Lettre à Grisélidis Réal intitulée Reines du réel. La complicité entre l’écrivaine canadienne à la riche bibliographie et l’actrice de la Comédie-Française apporte à cette lecture-spectacle un charme, un sens tout particulier.

Mais qui est Grisélidis Réal, réellement ?
Elle est née dans une famille d’enseignants au sein d’un milieu bourgeois, cultivé et calviniste. Elle rejoint son père (à l’âge de six ans) agrégé de grec ancien en Egypte – note de bas de page pour ceux que ça intéresserait, son père connaissait 17 langues… – qui dirige l’Ecole suisse du Caire, puis celle d’Athènes. Elle passera trois ans entre l’Egypte et la Grèce, puis le drame arrive. Son père qu’elle adorait et vénérait meurs alors qu’elle n’a que 9 ans.

Revenue dans le Canton de Vaud avec sa mère, Grisélidis reçoit alors une éducation rigoriste de chez rigoriste (je passe les détails, car c’est innommable aujourd’hui), éducation qu’elle ne supporte pas, et contre laquelle elle se révoltera. Changement de vie total, car la famille de sa mère veut faire des trois filles (Grisélidis a en effet deux soeurs) de bonnes épouses à la réputation irréprochable.

Grisélidis, dès l’âge de 13 ans, noie sa rage, et sa révolte dans l’écriture, au bord du lac Léman. Son premier poème, Le Cycle de la vie, est une ode aux femmes et au chemin de douleur qui les attend, de l’enfance à la mort. Quatre strophes pour les quatre âges de la vie, de l’insouciance : “Jouez enfants, dans la lumière, dit la Vie au rire argentin…”, jusqu’aux limbes “Éteignez, vieilles, de l’Existence, et du Refus, le pâle flambeau / Du coeur fermez la fenêtre…”

Souffrant de tuberculose, elle est envoyée à plusieurs reprises dans un sanatorium à Crans-Montana, dans le canton du Valais. Là, Grisélidis Réal écrit peint des dragons, des diables et des sirènes qu’elle vend quelquefois. Mais vite, l’argent manque.

Un jour, plus tard, dans un café, un homme lui propose un billet de 100 francs suisses contre une fellation, l’équivalent d’une journée à l’usine. Elle a 30 ans, c’est sa première passe.
La suite ? Un voyage en enfer.
En 1961, amoureuse, elle enlève Léonore et Boris ses enfants de 6 et 5 ans, à leur famille. Elle les entraîne en Allemagne suivant un soldat américain totalement schizophrène, censé reprendre des études de médecine à Munich. Mais Bill, ce beau soldat malade, s’avère être également extrêmement violent. Il la force à tapiner pour acheter de quoi manger, et les faire survivre.

Cinquante hommes par semaine, racolés au bord des routes de Nuremberg la nuit, ne suffisent plus à assurer trois repas quotidiens. Grisélidis finit par quitter Bill et se réfugie avec ses enfants dans un campement de Gitans, sa “nouvelle famille tzigane” qu’elle nourrit aussi avec l’argent des passes. La nuit, elle rôde autour des bordels américains.

Un autre GI afro-américain, Ronald Rodwell, la séduit et l’initie au trafic de marijuana avec le Maroc. Ils se font prendre. Les enfants sont placés dans un home catholique à Munich, elle en prison. Le premier soir, elle veut se suicider. Ce n’est pas sa première tentative. Seule dans une cellule, elle trouve un peu de calme en lisant Thomas Mann et Stefan Zweig. Elle dessine, écrit beaucoup, son journal, des poèmes, des cantiques des lettres à son amoureux Rodwell qui va bientôt l’oublier. Elle redoute la sortie : “Il faudra reprendre ce métier effroyable de courtisane pour gagner de l’argent pour mes enfants.” En cette année 1963, lors de ses sept mois de solitude, ” elle a fait de sa cellule une résidence d’artiste”, raconte Yves Pagès, qui publiera son journal de prison, Suis-je encore vivante, en 2008.

Avec son essai Reines du réel – Lettre à Grisélidis Réal, la romancière canadienne Nancy Huston rend un hommage puissant à la poétesse, peintre et prostituée genevoise, en qui elle découvre des échos de son parcours de femme et d’artiste. L’admiration, pourtant n’a pas été immédiate. En effet, engagée dans les mouvements féministes de l’époque, Nancy Huston voit en Grisélidis Réal une sorte de la caricature de la “pute au grand coeur”, de la “femme objet” qui ne sait pas dire non dans les situations qui l’imposeraient. “Longtemps je t’ai détestée, Gri. On eût dit que tu acquiesçais à tout ce que les hommes te demandaient. Tu semblais n’avoir aucun problème pour incarner leur fantasme : la pute au grand coeur, celle qui aime ça, celle qui comprend les messieurs et les juge jamais, celle qui accepte avec le sourire leur tout et leur n’importe quoi.” C’est en lisant sans relâche toute la correspondance, la poésie et les récits de Grisélidis, que Nancy Huston découvre d’innombrables points communs avec cette Cléopatre des trottoirs… Grisélidis, pour ceux qui l’ont connue, aimait se farder en Cléopatre, à coups de grandes lignes de khôl bleu nuit, arpentant les trottoirs des Pâquis, emballée dans des manteaux spectaculaires, souvent des fourrures aux motifs tigrés. Par la suite, Nancy Huston s’attache à Grisélidis, en raison d’une certaine similitude de vécu. Comme sa chère Gri (sic), Nancy a grandi dans l’abandon d’une mère, et dans la colère de cet abandon.
Impensable, indicible, inexprimable, ta rage contre ta mère, comme la mienne contre la mienne, deviendra une source d’énergie littéraire indéfiniment renouvelable. Pétrole pur à verser dans le moteur de la création, pour y ronronner et y exploser jusqu’à la fin.”
Tu nous montres que les vraies femmes fortes, ce ne sont pas celles qui défendent le ´droit´des hommes à les importuner´, mais celles qui savent demander aux hommes de grandir.
Grandir. Demander aux hommes de graaaaaaaandir.
Rosine Schautz