28 MARS – 7 AVRIL 2023

Spectacle musical

Avec Yvette Théraulaz, Frank Michaux, Lee Maddeford (piano et arrangements) et Christel Sautaux (accordéon)
Mise en scène Sophie Pasquet Racine. Dramaturgie et textes de liaison Sophie Pasquet Racine et Yvette Théraulaz
Regard extérieur David Deppierraz. Accessoires Denis Correvon. Lumière Jãnos Horvath. Costumes Tania D’Ambrogio 

Horaires
Mardi 20h • Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h30 • Dimanche 17h
Relâche lundi

SYNOPSIS

Nous chantons parce que le vacarme du monde n’est pas assez fort pour couvrir notre voix, et quoi que demain l’on fasse on pourra nous ôter la vie mais on éteindra pas notre chant. Louis Aragon

Yvette Théraulaz a joué et chanté dans plus d’une centaine de spectacles, ici et ailleurs, et rien ne peut l’arrêter ! Son amour pour la scène, et en particulier pour la chanson, est inaltérable. Il y a quelques années, elle rencontre Frank Michaux dans Crimes et Châtiments de Dostoïevski. Celui-ci lui confie partager cette même passion, avec une adoration toute particulière pour les deux grands B. Il n’en faut pas plus à Yvette Théraulaz et au pianiste Lee Maddeford pour s’embarquer dans ce projet un peu fou (en effet, difficile de s’attaquer à ces deux monstres que sont Barbara et Brel !).

C’est à Bruxelles et à Charleroi que Barbara commence à chanter, dans des cabarets. Elle a tout juste vingt ans. Dans son répertoire, il y a Edith Piaf, Juliette Gréco et Jacques Brel, qui lui aussi va de cabarets en cabarets. Les deux chanteurs s’y croisent, se rencontrent. De ces moments de galère partagés naîtra une amitié solide, faite de complicité et d’admiration. Ils se suivent, se conseillent, se soutiennent.

Barbara, c’est une fille bien. Elle a un grain, mais un beau grain. On est un peu amoureux, comme ça, depuis longtemps.
Jacques Brel

Coproduction Cie Horizon / Les Terreaux / Les Amis – Le Chariot

 

LA PRESSE 

BARBARA ET BREL MAGNIFIÉS AU THÉÂTRE DES AMIS
Le Temps, 5 avril 2023

Grâce à la complicité d’Yvette Théraulaz et de Frank Michaux, les deux monstres de la chanson française rayonnent de fraîcheur sur la scène carougeoise, après les Terreaux à Lausanne

Une soirée avec Yvette Théraulaz et Frank Michaux, c’est un plaisir redoublé. D’un côté, la flamboyance et la profondeur de la pasionaria romande qui, au fil des années, conserve toute son insolence et sa liberté. De l’autre, la facétie et le charme fou d’un petit prince des plateaux, dont chacune des apparitions enchante depuis sa première fois en Suisse dans Les Bas-Fonds de Gorki, en 2007, au Théatre des Osses à Givisiez.

Ce Parisien devenu Romand qui danse, chante et joue de l’accordéon, dit aussi bien les mots forts de Hugo dans Les Merveilles de Robert Bouvier que les saillies canailles d’un meneur de revue dans la comédie musicale Mistinguett . A propos de revue, le surdoué s’est justement illustré dans l’édition lausannoise de cet exercice satirique en décembre dernier. «Pour moi qui ne connaissais rien à la politique locale, j’ai découvert un monde», rigole-t-il après la représentation de Barbara & Brel, magnifique tour de chant et de textes que le public des Amis, à Carouge, a applaudi passionnément, mardi.

Ça ensommeille, puis ça s’ensoleille
Pourtant, rien d’évident dans le fait de reprendre les titres de ces icônes de la chanson. Yvette Théraulaz avait un coup d’avance, elle qui a déjà servi la grande dame brune avec flamme dans Ma Barbara en 2015, à la Comédie. «Oui mais je n’ai quasiment repris aucun des titres de cet hommage», glisse la comédienne à la sortie. C’est vrai, excepté deux incontournables, bien sûr: Le Mal de vivre et Ma plus belle histoire d’amour.

Mis en scène par Sophie Pasquet Racine, les deux interprètes ont la belle idée de dire staccato le texte implacable du Mal de vivre, cet état «qui vous ensommeille au creux des reins» et vous met «des larmes aux paupières, au jour qui meurt, au jour qui vient». Ils ne chantent que le moment où la joie de vivre fait son apparition. Alors du piano de Lee Maddeford qui signe les superbes arrangement du spectacle à l’accordéon très personnel de Christel Sautaux, en passant par les rires en cascades des deux espiègles, tout s’ensoleille sur la scène des Amis.

Beau, beau, beau et con à la fois
On a souvent cette impression de joie farceuse dans cette création. Frank Michaux explose de facétie dans La Chanson de Jacky, le fameux «beau, beau, beau et con à la fois» de Jacques Brel, comme il déborde d’énergie dans La Valse à mille temps, au moment où, sur un piano flamboyant, le jeune homme virevolte à donner le tournis. Mais le comédien est aussi capable d’être désarmant quand, assis au coin du tabouret, il chante presque sans ton le triste sort de celui qui aime La Fanette et se voit trompé sur «la plage qui mentait sous juillet».

Le duo est aussi très beau quand, yeux dans les yeux, les interprètes alternent les couplets de La Chanson des vieux amants et se retrouvent sur le refrain en s’enlaçant. Yvette et Frank sont alors sans âge et les frissons parcourent la salle. Mais les voilà à nouveau insolents lorsqu’ils chaussent gants et chapeau pour jouer les infidèles de Joyeux Noël, l’hommage de Barbara aux entorses à la conjugalité. Ils rient et font rire aussi dans Le Cheval, de Brel, touchent quand ils chantent «Fils de César ou fils de rien, tous les enfants sont comme les tiens». Lee Maddeford les rejoint et poursuit en anglais, ajoutant à l’universalité du propos.

Du plaisir fois quatre
Ce spectacle, passionnant 1 heure 40 durant, redonne toute sa place à la poésie et tout son élan à la profondeur des sentiments. Il rend aussi hommage ou plutôt adresse un clin d’œil aux deux icônes de la chanson française, immuables dans leur vibrante liberté et leur incroyable capacité à dire ce qui fâche, ce qui réjouit ou ce qui blesse. On ressort bouleversés face à tant d’humaine lucidité. Une soirée avec Yvette Théraulaz, Frank Michaux, Brel et Barbara, c’est un plaisir quatre fois renouvelé.
Marie-Pierre Genecand

 

 

UNE INDISPENSABLE VIBRATION POÉTIQUE
La Pépinière, 3 avril 2023

Barbara & Brel se rencontrent en bribes de textes et chansons jusqu’au 7 avril sur la scène des Amis musiquethéâtre à Carouge. Un spectacle qui touche l’âme et le cœur, tant tous ces mots fredonnés parlent de cette double quête essentielle : celle de l’amour et de soi-même.

D’abord il y a Frank Michaux. Éblouissant. Magnifique de jouerie, d’interprétation et d’engagement à chaque instant du spectacle. Tout autant capable de nous émouvoir en chuchotant tendrement le début de cette fameuse valse que de nous embarquer dans la furia vertigineuse de la vie du grand Jacques. Quelle aisance à passer d’un registre à l’autre, à virevolter sur scène entre larmes et rires, à créer des instants d’émotions qui nous rappellent combien le regard du poète sur la vie est le sel de celle-ci.

Juste à côté, il y a Yvette Théraulaz. Impressionnante elle aussi. Qu’on la découvre ou qu’on la retrouve, on en a tous déjà entendu parler. Une légende vivante de la scène. Un patrimoine à elle seule. Et elle est là. Forte et fragile. Aux portes de l’âge et débordante d’énergie. Grande dame qui joue une grande dame. Elle se demande quel sera son dernier public. Frissons. Mise en abyme jusque dans la chanson finale avec Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous.

Au piano et à plein d’autres instruments : Lee Maddeford. Chez lui aussi, le talent déborde. Il ouvre le spectacle sur un avertissement judicieux – Ce n’est pas un hommage – puis accompagne avec maestria et complicité tous les poèmes et chansons qui nous emballent peu à peu dans la commune humanité de ce que nous sommes : des êtres fondamentalement seuls qui se réchauffent tant bien que mal au feu de la rencontre. On aimerait d’ailleurs devenir proche de ce musicien tant on pressent que de ses doigts aux notes se tissent des fils de solidarité.

Et finalement, la joyeuse nostalgie de l’accordéon de Christel Sautaux. Celle-ci arrive chaque fois à point nommé, souvent avec un son tenu longtemps qui ajoute une texture envoûtante à ce qu’il se passe sur scène. Discrète et présente, elle complète à merveille l’équipage poétique qui nous transporte au pays de tous les possibles. C’est fort et formidable.

Ce n’est donc pas un spectacle-hommage. Mais alors qu’est-ce ? Dans un premier temps, on peut être tenté par la recherche d’une histoire rationnelle. Où est-on ? Que signifie la différence d’âge entre les deux protagonistes ? Pourquoi une écritoire ? On pense à Kundera, à l’insoutenable légèreté de l’être, aux amitiés amoureuses… Et puis on lâche sans peine toutes ces vaines questions au fur et à mesure qu’on est envahi par la poésie de l’ensemble. L’ami Lee nous avait pourtant prévenu·e·s : Cela peut être avant, après, pendant… Peu importe le lieu, peu importe la vraisemblance, ce qui compte c’est la vibration contenue dans l’instant romantique.

Le spectacle voyage alors un peu comme un diesel. Si d’aucuns mettent quelque temps à apprivoiser l’imaginaire de la rencontre des deux B, celle-ci fonctionne si bien qu’on en redemande très vite. Le dialogue en chansons résonne à plein tubes. La plupart des airs repris fait partie d’un bien culturel commun qui nous fait fredonner et nous trémousser sur nos fauteuils avec allégresse.

Un des nombreux mérites des options prises sur scène est aussi de nous faire découvrir des textes moins connus des deux monstres sacrés. En effet, au-delà des succès qui font tanguer du cœur aux larmes (comme la sublime Chanson des vieux amants ou le non moins définitif Mal de vivre), le spectacle regorge de pépites insoupçonnées. Le trouble créatif s’amplifie aussi quand on comprend qu’Yvette peut chanter du Jacques et Franck du Barbara, sans oublier que l’ombre du grand Ferré n’est jamais bien loin… C’est très chouette et on se dit qu’avec le temps (…) ne demeurent que les mots… et que leurs auteur·ice·s n’ont plus de problème d’ego, elles et eux.

Soulignons encore les performances bluffantes des deux interprètes, particulièrement l’hallucinant sans-faute d’Yvette Théraulaz sur le quasi-rap Des insomnies barbariennes et l’époustouflante démonstration de Frank Michaux qui crie : « Au suivant ! » avec l’optimisme désillusionné de ceux qui savent profiter de la vie comme d’un miracle.

Si le propos porté sur scène n’est pas un hommage au sens narratif du terme, il n’en reste pas moins que c’est une formidable occasion de découvrir l’immensité de l’héritage de Barbara et Brel. Et l’importance de celui-ci pour les générations actuelles et futures. Finissons sur l’audacieuse proposition de marier l’écrivain Jean-Pierre Siméon et le philosophe Robert Legros en affirmant que seule la poésie sauvera le monde car elle nous permet de retrouver l’humanité en l’homme contenue dans les âmes les plus sombres. Ce spectacle en est une preuve étincelante.
Stéphane Michaud