1er NOVEMBRE – 17 NOVEMBRE 2024
De Terrence McNally
Adaptation française de Pierre Laville
Avec Maria Mettral, Lorianne Cherpillod, Sarah Pagin, Erwan Fosset, Michel Favre et Nicolas Le Roy (piano). Mise en scène, Michel Favre. Lumière, Rinaldo Del Boca. © Anouk Schneider.
La pièce est publiée chez Actes Sud-papiers et représentée par Dominique Christophe / L’Agence, Paris
Horaires
Mardi, vendredi 20h • Mercredi, jeudi, samedi 19h • Dimanche 17h
Relâche lundi
Durée : 1h40
EN DEUX MOTS…
Devant un public où se pressaient des étudiants, Maria Callas donnait, en 1971 à la Julliard School de New York, des leçons de chant. Ceux qui y assistèrent en gardent un souvenir ébloui. L’auteur américain Terrence McNally a eu l’idée de porter à la scène ces leçons à partir des enregistrements qui en avaient été faits.
La Diva aborde l’art de la scène et le travail des artistes avec une intelligence à l’égale de son humour et de sa férocité. Elle évoque également l’engagement total et la passion nécessaires pour maîtriser son instrument – en l’occurrence la voix et dépasser ses limites.
Maria Mettral est impériale. La comédienne genevoise se révèle à la fois profonde, voire abyssale, quand elle plonge en elle-même pour dresser le bilan des années glorieuses de la diva. M-P Genecand, Le Temps
Coproduction Le Pont Neuf / Les Amis – Le Chariot
LA PRESSE
AUX AMIS, MARIA METTRAL INCARNE LA CALLAS, ET C’EST LE GRAND FRISSON
Le Temps, 28 septembre 2023
Dans «Master Class», la comédienne genevoise ressuscite la diva face à trois élèves chanteurs. Entre les airs d’opéra et le coaching musclé, la soirée étourdit d’intensité
«Je n’ai jamais eu autant d’émotions au théâtre.» La confession de cette spectatrice de 84 ans, grande amatrice d’opéras et de spectacles, vaut son pesant de référence. Et c’est vrai. Lorsque Maria Mettral, alias la Callas, évoque le regard en feu ce tournant de 1954 où la diva a remporté un immense succès à la Scala de Milan en chantant La Somnambule de Bellini, le public des Amis est sous le charme. Et sous le choc, car il y a de la rage dans celle qui conclut ce triomphe par: «J’ai encore gagné.»
Mais l’émotion est aussi légère et heureuse dans Master Class, pièce de 1995 de l’Américain Terrence McNally, en première suisse à Carouge, après avoir été créée à Paris avec Fanny Ardant. Face à Lorianne Cherpillod, Sarah Pagin et Erwan Fosset, jouant les élèves chanteurs qui mûrissent dans la douleur au fil des conseils de la star, le public frémit d’une émotion particulière, celle que procurent la transmission et l’accomplissement de soi. Sans oublier, bien sûr, les airs d’opéra, ces perles brillantes tirées de La Somnambule, Macbeth et Tosca et chantées avec élan sur le piano virevoltant de Nicolas Le Roy. Trois fois, la joie.
Maria Mettral, impériale
Si ce spectacle est si intense, c’est que, sous la direction de Michel Favre, Maria Mettral est impériale. La comédienne genevoise se révèle à la fois profonde, voire abyssale, quand elle plonge en elle-même pour dresser le bilan des années glorieuses de la diva. Et à la fois clinquante, voire clashante, quand elle assène ses recommandations à ses élèves tétanisés.
On a déjà souvent relevé le métier de la fringante Madame Météo à la RTS, notamment dans des textes de Dario Fo, mais ici, Maria Mettral impressionne par son intensité, ce feu dévorant qui a été nécessaire à la Callas pour remporter le morceau.
Inspirée de la réalité
La pièce, inspirée d’une vraie leçon donnée par la diva à la Juilliard School of Music de New York, raconte la détermination de celle qui a révolutionné l’art lyrique en amenant du sentiment et de l’étoffe aux personnages d’opéra. La Callas n’a jamais reculé devant l’effort ni le travail pour atteindre ce graal: bouleverser l’audience et obtenir jusqu’à 37 rappels. Adolescente, elle venait 6 jours sur 7 au Conservatoire de musique d’Athènes, où la famille avait déménagé après une première tranche de vie agitée aux Etats-Unis. Et se retrouvait parfois les pieds en sang faute d’être bien chaussée, raconte-t-elle aux apprentis chanteurs.
Sa recette tient en trois mots: technique, discipline et courage. «Mute», traduit-elle en allemand, se souvenant d’y avoir recouru, lorsque, pendant l’Occupation, elle a dû chanter devant l’armée honnie. Mais le courage ne suffit pas. La connaissance des partitions et du personnage est indispensable pour vivre le rôle, ajoute celle qui hait le mot «jouer».
L’actors singing studio
Ainsi, à la soprano Sharon Graham (Sarah Pagin), qui s’apprête à livrer l’air de la lettre de Lady Macbeth dans l’opéra de Verdi, la Callas demande si elle connaît son Shakespeare, si elle l’a seulement lu. Et si elle mesure l’enjeu de la situation pour cette femme dévorée d’ambition.
De la même manière, quand le ténor Anthony Candolino (Erwan Fosset) se lance dans l’air du portrait de Tosca, sait-il dans quelle église il se trouve et a-t-il à l’esprit la nuit torride qu’il vient de passer avec son amante, teste la diva. Devant l’air paumé du chanteur, la Callas martèle son mantra: tout est dans le détail et tout est dans la musique. Ressentez la musique et respirez la situation avant de vous lancer. Le bel canto a vécu, vive l’actors singing studio!
Et le look alors?
La diva est aussi intraitable sur le look. Plusieurs fois, elle invite l’audience de cette master class, c’est-à-dire le public du Théâtre des Amis, à faire la différence en matière d’apparence. Elle sait de quoi elle parle: Evangelia, sa maman qui était aussi son premier agent, s’est toujours vantée d’avoir transformé son vilain petit canard de fille en un cygne stupéfiant. Maria Mettral, parfaite des pieds à la tête, n’a pas besoin d’artifices, mais elle excelle dans l’expression sourcils levés face aux fautes de goût ou de maintien de ses protégés.
La soirée file ainsi entre coaching sévère, retour sur un passé poignant – la Callas a cassé sa voix en dix ans – et puissantes envolées. Et c’est étourdie, de sons et de frissons, que l’audience a applaudi, mardi, soir de première, la comédienne-diva de la rentrée.
Marie-Pierre Genecand