14 SEPTEMBRE – 3 OCTOBRE 2021

De Mike Bartlett
Version française Blandine Pélissier et Kelly Rivière

Avec Vincent Bonillo, Marie Druc, Thomas Diebold et Madeleine Raykov
Mise en scène et scénographie Pietro Musillo. Lumière Rinaldo Del Boca
Son Nathan Monney. Coiffures et Maquillage Emmanuelle Pellegrin. Photos Anouk Schneider

L’oeuvre, parue aux éditions Actes-Sud, est représentée par l’Agence Drama – Susanne Sarquier

 

Horaires
Mardi 20h • Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h30 • Dimanche 17h
Relâche lundi

SYNOPSIS

Sur la musique des Beatles, en pleine vague de libération des moeurs, Kenneth (20 ans) dérobe Sandra à son frère Henry. Les deux jeunes gens partent ensemble à l’aventure. Trente ans plus tard, dans les années nonante, le tableau s’assombrit. Coincés dans une petite villa de banlieue, jonglant entre le travail et l’éducation des enfants, le couple se disloque peu à peu. Une décennie plus tard, Kenneth (60 ans) et Sandra ont refait leur vie chacun de leur côté… mais leurs enfants peinent à vivre la leur !

Portrait au vitriol de la génération soixante-huitarde en Angleterre. La pièce se déroule en trois tableaux, offrant aux spectateurs le plaisir de voir vieillir les personnages au fil de la représentation. Un défi passionnant pour les quatre comédiens réunis par Pietro Musillo.

Mike Bartlett est l’un des dramaturges anglais les plus doués de sa génération. Diplômé de l’Université d’Oxford, auteur prolifique, il écrit pour le théâtre, la radio, la télévision et le cinéma. Ses œuvres remportent de nombreux prix, dont notamment le Laurence Olivier Award en 2015 pour sa pièce King Charles III.

Coproduction Les Amis – Le Chariot / la Cie Cap 10, avec le soutien de la Loterie Romande, du Fonds Mécénat SIG, de la SIS, ainsi que de la Fondation Ernst Göhner

 

LA PRESSE

LE TEMPS

À GENÈVE, UNE PIÈCE CINGLANTE RACONTE LES DÉGÂTS DE L’ÉDUCATION LIBERTAIRE, Marie-Pierre Genecand, 27 septembre 2021

Aïe, le spectacle ne fait pas du bien aux personnes qui valorisent le plaisir comme moteur de vie… Aux Amis, à Carouge, «Love Love Love» règle son compte aux parents insouciants. Courez-y, les acteurs sont formidables!

Michel Houellebecq ne détesterait pas Love Love Love, à l’affiche du Théâtre des Amis. Le polémiste réactionnaire jubilerait au contraire en voyant comment Sandra et Kenneth, qu’on découvre à 20 ans, amoureux libertaires en pleine euphorie soixante-huitarde, se prennent le trottoir lorsqu’il s’agit de transmettre à leurs enfants leur appétit de la (grande) vie.

Répartie sur trois époques, 1967, 1987 et 2007, la pièce de l’Anglais Mike Bartlett montre de manière implacable les dégâts d’une éducation basée sur le seul plaisir des parents, qui mutent de babas à bourgeois dans le même temps. Sous la direction fine de Pietro Musillo, metteur en scène de cette faillite familiale, Marie Druc, Vincent Bonillo, Thomas Diebold et Madeleine Raykov excellent à restituer le fossé générationnel.

«Je croyais que nos enfants seraient des héros. Qu’ils allaient résoudre tous les problèmes du monde… Résultat, ils passent leur temps à regarder des vidéos en attendant le vendredi soir.» Est-ce l’effet Marie Druc, comédienne toujours plus bluffante de précision et de percussion? Ou parce qu’on nourrit une forme de nostalgie pour la période hippie? En tous les cas, au moment de la déconfiture, quand Sandra et Ken, fringants retraités, constatent que leurs rejetons sombrent au plus profond de la dépression, on a un gros pincement. Quoi, la joie ne se transmet pas? Etre heureux ne rend pas forcément les autres heureux? Soupir…

Heureux ou hystériques?
Bon, le couple de Love Love Love est peut-être plus hystérique et alcoolisé que vraiment heureux. Et ce n’est pas parce qu’on aime la fête (beaucoup) qu’on ne peut pas écouter ses enfants et les accompagner correctement. Autrement dit, Mike Bartlett force le trait en peignant une génération jouisseuse et égoïste qui enquille herbe à vingt ans, champagne à quarante et tout ce qui se consomme à soixante, en distinguant à peine sa progéniture dans le brouillard des paradis artificiels. Oui, la salve du dramaturge quadragénaire ne fait pas dans la dentelle, mais il y a du vrai dans cette peinture cruelle. De fait, le «tout, tout de suite» a ses limites…

Il faut donc aller voir cette pièce aux Amis pour sa fable morale et son écriture coup de poing. Mais plus encore, il faut y aller pour le formidable abattage des comédiens. En John Lennon jeune, puis en esthète amusé et, enfin, en disciple zen accompli, Vincent Bonillo fait des merveilles de morphing. Son phrasé aussi évolue au fil des années. Il passe de l’hilarité douce et très touchante – le public l’adore à 20 ans –, à une forme de spleen oublieux à 40 ans pour enchaîner avec une séduction mâtine, en retraité. On comprend que Sandra, son ex-femme, puisse recraquer…

Furie à l’autorité chavirante
De son côté, Marie Druc est, comme de coutume, inégalable dans le phrasé allegro staccato, décochant ses phrases comme une pluie de couteaux. Elle est pimpante à 20 ans, ulcérante à 40 et désarmante dans sa combinaison émeraude, à 60. Son personnage fait et défait les destins – au départ, Sandra sortait avec Henry, le frère de son futur mari – et Marie Druc trouve parfaitement l’autorité chavirante de cette furie.

Parce que Rosie, son personnage, est le même à 16 et 37 ans, Madeleine Raykov est toujours au bord de la crise de nerf face à la «tornade mère» et compose à merveille l’impuissance de cette enfant étouffée. Quant à Thomas Diebold, il est simplement… top. Il joue d’abord Henry, le frère coincé de Ken dans les années soixante, puis Jamie, le fils bêta de 14 ans qui devient carrément demeuré à 34 ans. Chaque fois, le corps de ce comédien formé chez Serge Martin dit son état, et on peine à le reconnaître, tant les changements, renforcés par Emmanuelle Pellegrin aux maquillages et aux coiffures, sont fascinants.

Toute ressemblance…
Face à cette comédie grinçante, on a le même plaisir que face à Carnage, pièce de Yasmina Reza montée par Georges Guerreiro en 2016 – et adaptée à l’écran par Roman Polanski cinq ans plus tôt. Le plaisir, à la fois sadique et maso, de voir se débattre des parents qui, parfois, souvent, nous ressemblent furieusement.

 

LA TRIBUNE DE GENÈVE

“LOVE LOVE LOVE” MET LA GÉNÉRATION DES BOOMERS SUR LA SELLETTE, Katia Berger, 24 septembre 2021

Le Genevois Pietro Musillo dirige un casting étincelant dans la pièce du dramaturge anglais Mike Bartlett, qui tend un miroir sans complaisance aux… habitués des Amis.

Le monde à leurs pieds
C’est exactement au milieu de tels accessoires qu’on cueille Kenneth et son frère Henry sur le petit plateau carougeois. Le premier, un étudiant désœuvré d’Oxford, le second, un employé lambda que l’intrigue enverra discrètement ad patres. Ken le parasite a tôt fait de piquer sa petite amie à son frangin, et de s’autocongratuler avec elle de changer le monde qu’ils ont d’ailleurs à leurs pieds. Au deuxième acte, on retrouve le couple embourgeoisé, toujours pétulant après vingt ans de vie commune, et doté de deux rejetons auxquels il ne prête guère attention, tout absorbé qu’il reste par sa prééminence naturelle. Au troisième tableau, les petits sont devenus adultes. Le garçon est un fils à papa demeuré, accro aux jeux que débite son smartphone, la fille une violoniste frustrée réalisant trop tard qu’elle a fait les frais d’une éducation dysfonctionnelle.

Né en 1980, le prolifique dramaturge et scénariste anglais Mike Bartlett a quant à lui l’âge d’un petit-fils de la génération des premiers baby-boomers, nés juste à la fin de la guerre. Dans la pièce qu’il a habilement ficelée en 2010, il occuperait l’angle mort de la famille, puisqu’il a choisi d’y chroniquer les mœurs des contemporains de ses grands-parents, et d’en examiner les conséquences désastreuses sur leurs enfants, à savoir ses parents.

Pietro Musillo, acteur, scénographe et metteur en scène genevois émanant de la «génération X» (grosso modo les natifs de 1966 à 1983), fait pour sa part reposer son spectacle avant tout sur le brio de sa distribution. Avec raison, puisque Marie Druc en tête, mais aussi Vincent Bonillo, Thomas Diebold et Madeleine Raykov crèvent d’autant plus le rideau qu’on les saisit transformés à plusieurs reprises, en fonction de l’âge de leur personnage et du contexte historique de l’action. Le voyage dans le temps qu’ils effectuent tous les quatre grâce à leurs costumes, leurs coiffures, leurs gestuelles et leurs discours séduira en priorité les spectateurs ayant eux-mêmes traversé les décennies.