6 – 25 JUIN 2023

D’après les mémoires de Louise Michel
Avec Charlotte Filou et José Lillo. Adaptation et mise en scène Charlotte Filou
Collaboration artistique José Lillo et Antoine Courvoisier. Lumière Rinaldo Del Boca
Costumes Ljubica Markovic. © Daniel Calderon
Horaires
Mardi 20h • Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h30 • Dimanche 17h
Relâche lundi. Horaire spécial le vendredi 16 juin, 19h au lieu de 20h30 !
SYNOPSIS
Il existe des figures historiques capables de transformer notre “être au monde” et qui, telles des boussoles, nous permettent de nous déterminer. Charlotte Filou
Passionnée par les récits creusant la mémoire intime et collective, la jeune comédienne et metteure en scène Charlotte Filou choisit pour sa nouvelle création de se pencher sur une personnalité hors du commun, d’un courage et à la ténacité exemplaires.
Louise Michel, née en 1830 en Haute-Marne, exerce le métier d’institutrice à Paris dès 1853. Elle fréquente notamment Jules Vallès, Eugène Varlin, Rigault et surtout Théophile Ferré. Elle écrit pour des journaux d’opposition et entretient une correspondance poétique avec Victor Hugo. Sa participation active à La Commune de Paris en 1871, lui vaut d’être condamnée à la déportation à vie en Nouvelle Calédonie. Elle est amnistiée en 1880 et peut rejoindre Paris, où elle poursuivra son militantisme politique : contre la peine de mort, pour le droit des femmes, la condition ouvrière, les chômeurs… jusqu’à sa mort, en 1905.
Coproduction Les Amis – Le Chariot / Cie Filou Théâtre avec le soutien de la Loterie romande, des Maisons Mainou Fondation Johnny Auber-Tournier
LA PRESSE
DE TOUS LES COMBATS
Le Courrier, 2 juin 2023
A Genève et Lausanne, deux spectacles abordent la Commune de Paris de 1871 et l’une de ses figures emblématiques, Louise Michel. Qui était cette femme libre et engagée, de toutes les luttes égalitaristes?
Louise Michel (1830-1905) a traversé l’Histoire, combattant derrière les barricades lors de la Commune insurrectionnelle de Paris – qui dura de mars à mai 1871. Refusant de capituler face au Prussien Bismarck après la défaite française des armées de Napoléon III, les communard·es prônent une nouvelle organisation sociétale, populaire et républicaine, fondée sur la démocratie directe et le communalisme – il existe alors une dizaine de communes, Marseille, Narbonne, Lyon, etc.
Louise Michel participa à cette expérience démocratique de 72 jours, aussi éphémère que révolutionnaire, et violemment réprimée par les forces versaillaises durant la «Semaine sanglante», une guerre civile qui a fait des milliers de victimes– on parle de 20 000 à 30 000 morts.
Rappelons que sous le Second Empire, les salaires étaient inférieurs au coût de la vie, les conditions de vie des ouvriers déplorables. Plus de la moitié des Parisien·nes vivaient dans une «pauvreté voisine de l’indigence», bien que travaillant onze heures par jour, notait Haussmann, favori de Napoléon III.
Institutrice, écrivaine, dessinatrice, défenseuse des démuni·es et des opprimé·es, Louise Michel est montée au front pendant la Commune et sa vie durant. De tous les combats, et pas seulement pour le monde ouvrier, elle a défendu l’éducation laïque et mixte, développé des méthodes pédagogiques novatrices et milité pour l’égalité des droits humains, mais aussi pour la défense de la nature et du règne animal, de Paris à la Nouvelle-Calédonie où elle fut déportée. Sur le plan littéraire, elle s’est essayée à tous les genres, de la poésie à l’autobiographie, en passant par le théâtre.
«Ma conviction est que, dans l’avenir, on reconnaîtra la folie du capital, de la guerre, des castes, des frontières et qu’il n’y aura plus qu’un seul et même peuple qui serait l’humanité. C’est à cette œuvre que j’ai consacré ma vie. Vous pouvez me poursuivre, me condamner, cela ne changera rien à ma croyance», écrit-elle dans ses Mémoires.
«Incroyable honnêteté»
Cette pionnière du féminisme, refusant le mariage, a aussi et surtout marqué par ses positionnements anarchistes. «Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c’était bien la Commune composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté et qui avaient donné d’incontestables preuves de dévouement et d’énergie, note-t-elle encore. Le pouvoir les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice. C’est que le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste.»
Une personnalité entière, hors du commun, célébrée de son temps et passée à la postérité, dont les luttes font écho aux enjeux contemporains. Dès la semaine prochaine, au Théâtre des Amis, à Carouge, la comédienne et metteuse en scène Charlotte Filou incarnera la révolutionnaire et intellectuelle française avec Louise, d’après les Mémoires de sa compatriote. Elle y aura pour partenaire José Lillo, avec qui elle avait joué dans La République de Platon, adaptée par le comédien et metteur en scène genevois sous forme de conférence citoyenne.
«Danse des bombes»
A Lausanne, la période de la Commune et son modèle sociétal ont aussi suscité l’intérêt de Claudine Berthet et Franck Arnaudon. «Parce que la Commune de Paris a procédé à un certain nombre de réformes qui demeurent une source d’influence majeure pour les mouvements de gauche, socialistes, communistes et anarchistes.»
Leur compagnie Le Pavillon des Singes est spécialisée dans la chanson française ancienne, à laquelle ils ont dédié plusieurs spectacles: au Pulloff, ce sont des textes et des chants de l’époque, dont la fameuse Danse des Bombes, poème de Louise Michel écrit en pleine guerre civile, qu’on pourra entre autres entendre dans leur spectacle musical à l’affiche fin juin. A Genève, qui a offert un toit à des communard·es en exil, Le Courrier a rencontré Charlotte Filou, dynamique, charismatique et volubile, ayant déjà quelques mises en scène à son actif – son précédent spectacle avait pour toile de fond Mai 68. Interview.
En quoi Louise Michel a-t-elle été déterminante dans votre parcours ?
Charlotte Filou: Elle est une figure marquante dont j’étais imprégnée adolescente. Je ne suis pas devenue anarchiste à 17 ans, mais j’étais influencée par sa trajectoire, bien plus que par celle de Jeanne d’Arc! (rires)
Qu’avez-vous retenu de ce personnage multifacettes ?
C. F. : Louise Michel avait décidé d’agir en accord avec ses idées, jusqu’au bout. J’étais fascinée par la mise en acte de ses idéaux. De la même manière qu’Antigone est un personnage captivant, que je cite ici: «Moi je n’ai pas dit oui. Je peux dire non encore à tout ce que je n’aime pas. Vous avez dit oui.» La loyauté envers les idéaux de Louise Michel prime toujours.
Elle met à bas la lâcheté et la compromission, ce qui permet de se construire. On a beau essayer de faire le maximum pour mettre sa vie en adéquation avec ses idées, on est toujours en prise avec des compromissions, personnelles, égotiques ou en lien avec la société.
Quel a été votre fil rouge, après avoir parcouru ses Mémoires?
C.F. : Il m’a semblé qu’il était essentiel de poser d’abord le socle voltairien de l’enfance de Louise Michel, avant de la contextualiser dans la Commune. Elle est bâtarde, fille d’un châtelain et d’une servante, mais élevée par des grands-parents paternels qui tenaient à lui donner une instruction. Les jalons qu’ils ont posés sont une part importante de ses Mémoires. Ce sont des membres de la noblesse de robe, des juges ou avocats, mais républicains.
Que lui ont-ils inculqué?
C. F. : Elle est éduquée comme une petite-fille de château, bercée par la poésie, par Rousseau, Voltaire, dans l’esprit des Lumières. Lorsqu’ils meurent, elle doit quitter les lieux, avec sa mère. A 20 ans, elle retourne à un autre statut.
Elle a développé un lien fort à sa mère. Et du côté paternel?
C. F. : On ne sait pas vraiment qui était le père, le châtelain ou son fils? Peut-être était-ce les deux, en vertu d’un droit de cuissage sur la servante?
Abordez-vous cette question dans votre spectacle?
C. F. : Oui, mais pas par ses mots à elle. Elle ne pouvait pas l’exprimer. C’est José Lillo qui prend en charge ce genre de mise en relief. Je n’avais pas envie de faire un monologue et voulais que la balle rebondisse! La période de calme de son enfance a pris vie dans la période de lutte, dit-elle. Elle a mis en actes ce qu’elle avait appris toute jeune. Puis il m’a paru indispensable de traverser l’époque de la Commune.
Louise Michel en est l’une des figures emblématiques.
C. F. : Elle en est un moteur. Louise Michel est déjà dans les groupes blanquistes (Auguste Blanqui, socialiste révolutionnaire, est considéré comme l’un des fondateurs de l’extrême gauche française, ndlr) et internationalistes de la Première Internationale, dans les années 1860. Elle est une tête pensante de tous les mouvements socialistes qui s’organisent à la fin du XIXe siècle. Elle s’impose par son intelligence au milieu des hommes.
Ensuite, elle fait le choix de rejoindre le camp de la lutte en tant que soldate, alors qu’elle aurait pu rester dans l’organisation des comités et s’occuper à définir les lois de l’époque.
Comment s’est passée sa détention en Nouvelle-Calédonie après son procès?
C. F. : Elle y est restée huit ans. Sa condamnation officielle précise qu’elle doit être enfermée «à vie et en enceinte fortifiée». Les femmes y étaient malgré tout mieux traitées que les hommes. Elle a par ailleurs bénéficié d’un traitement de faveur grâce à une société de géographie, à qui elle devait envoyer ses observations sur la faune et la flore locales. Elle y testait le vaccin de la jaunisse!
Louise Michel était fascinée par l’île, comme elle le raconte lorsqu’elle évoque ses quatre mois de voyage en cage sur le pont du bateau. Tout le monde est au bout du rouleau mais elle, elle s’enthousiasmait par l’écriture et le dessin, avec une capacité d’observation incroyable. Elle raconte la beauté de la nature, la manière dont elle est emportée par les cyclones…
Elle n’était pourtant ni botaniste ni scientifique…
C. F. : Non, mais elle était institutrice et avait soif de tout. Elle possède une grande porosité au monde. Par sa force intellectuelle, elle était aussi tenue en respect parce qu’elle était une femme sachante.
Elle a défendu les opprimé·es, contre toutes formes de domination, coloniale, patriarcale…
C. F. : Elle est de toutes les causes, elle est déjà intersectionnelle! La police la suit, elle est régulièrement emprisonnée. Ses appuis politiques veulent la faire sortir de prison mais elle refuse si ses camarades ne sont pas libérés avec elle. «Soit amnistie pour tout le monde, soit rien», dit-elle. Elle est implacable. C’est un tempérament!
Jusqu’où a-t-elle conscience de sa lutte?
C.F. : Elle n’existe pas elle-même, confie-t-elle. Elle s’est fondue dans la vie publique et ne vit que pour la révolution sociale. Sa vie privée n’a pas d’importance par rapport à la révolution qui doit advenir. Elle y croit. Là est la grandeur des utopistes de l’époque, porté·es par une sorte de foi, de dévotion. Leur soulèvement est presque de nature spirituelle. C’est aussi le romantisme de la fin du XIXe siècle. On cherche l’idéal de la nation libre, consciente d’elle-même et maîtresse de son destin.
Comment ne s’est-elle pas fait abattre?
C. F. : Elle dit qu’elle échappait à tout. «Comment elle ne fut pas tuée cent fois sous mes yeux, alors que je ne la vis qu’une heure», écrit Georges Clemenceau. Pendant deux mois, elle prend les armes alors qu’elle n’est pas soldate. Elle a aussi été ambulancière, un peu en retrait. On a l’impression que les balles lui passent à côté.
A quel moment a-t-elle entrepris de raconter ses souvenirs? A-t-elle toujours noirci des carnets de notes?
C.F. : Elle écrit toute sa vie. Elle débute l’écriture de ses Mémoires en prison et la première partie est publiée en 1886. Après sa déportation en Nouvelle-Calédonie, entre 1873 et 1880, elle devient anarchiste et participe à des révoltes pour les sans-travail. Mais elle ne veut appartenir à aucun mouvement. Elle a sa barque autonome.
Ses périodes d’emprisonnement étaient propices à l’écriture…
C. F. : Oui, elle a surtout écrit en prison, d’abord dans des journaux car elle refusait que les éditeurs, dont le fameux Roy, remanient ses textes avant publication.
Dans ses Mémoires, elle ne raconte pas vraiment son expérience de la Commune.
C. F. : Elle en fait état mais son expérience est surtout détaillée dans La Commune, qu’elle publie en 1898. Elle écrit d’une traite et ne se relit pas, passant de ses songes d’enfant au voyage vers la Nouvelle-Calédonie, et vice-versa. Qu’il s’agisse du premier tome ou de la suite, ses Mémoires sont extrêmement éparpillées.
Son écriture est-elle à l’image de ses champs d’action multiples?
C. F. : On raconte qu’elle rédigeait ses mémoires d’un côté, de l’autre un opéra ou une pièce de théâtre, recto verso sur la même feuille! Elle écrivait avec ce qu’elle pouvait. Disons qu’elle n’était pas structurée. «A vie nomade, écriture bohème», avouait-elle. Elle tire le fil de sa vie, mais sans chronologie, il faut s’accrocher pour la suivre! (rires)
Sa méthodologie vous a-t-elle guidée pour construire votre spectacle?
C. F. : Non, non! J’ai structuré le récit de manière chronologique, avec des envolées qui transmettent ses fulgurances. Je me suis aussi aidée de la biographie romancée de Xavière Gauthier et des travaux de Claude Rétat. Mais le spectacle est composé à 90% de sa parole à elle.
Quelles autres sources vous ont-elles nourrie?
C. F. : Il y a notamment le film de Peter Watkins, une reconstitution de cinq heures, et l’ouvrage de l’historien Henry Lefebvre. Il y a aussi le film de Raphaël Meyssan à partir de gravures de la Commune. Yolande Moreau y raconte l’histoire d’une femme ayant perdu son enfant, mort de malnutrition lors du siège de Paris par les Prussiens, qui s’engage ensuite dans l’insurrection.
On a fait d’elle une héroïne. Elle était liée à Victor Hugo, défenseur des opprimé·es, politicien qui se bat pour les libertés, notamment pour abolir la peine de mort.
C.F. : Victor Hugo n’a pas soutenu les communards mais il l’a soutenue elle. Ils ont développé une correspondance et se sont écrit toute leur vie. On lui prête potentiellement une liaison avec lui…
Propos recueillis par Cécile Dalla Torre