29 MAI – 2 JUIN 2024

Correspondance entre Olga Knipper et Anton Tchekhov
Musiques d’Alexandre Scriabine

Avec Françoise CourvoisierJean-Pierre Malo et Nicolas Le Roy (piano)
Lumière Rinaldo Del Boca. © O. Shirnina (Klimbim)

 

Horaires
Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h • Dimanche 17h
Durée : 1h30

SYNOPSIS

En 1899, Tchekhov fait la connaissance au Théâtre d’Art de Moscou de celle qui en est alors l’actrice vedette, Olga Knipper. Dès cette première rencontre débute une correspondance qui durera six ans, de la naissance de leur amitié jusqu’à leur mariage en 1901 et à la mort de Tchekhov en 1904.
Grâce à ces échanges épistolaires on peut assister à l’émouvante évolution de leur relation mais aussi partager leur passion commune pour le théâtre. Nous assistons notamment à des discussions enflammées sur la genèse des célèbres pièces de l’auteur russe, dans lesquelles Olga interprète les héroïnes (La Mouette, Les Trois Soeurs, Oncle Vania, La Cerisae…) et côtoyons à travers elles des artistes devenus légendaires tels que Tolstoï, Gorki ou encore le grand homme de théâtre Stanislavski, auteur de deux ouvrages restés référentiels encore aujourd’hui, La Formation de l’acteur et La Construction du personnage.

 

L’un des grands atouts de ce moment de “musique et théâtre” est la présence exceptionnelle du comédien Jean-Pierre Malo, dont plusieurs de ses interprétations ont profondément marqué la scène genevoise Louis Laine dans L’Échange de Claudel, les rôles titres de Woyzeck de Büchner et de Abraham sacrifiant de Théodore de BèzeSigismond dans La vie est un songe de Calderon... Depuis le comédien poursuit sa route à Paris. Il n’était revenu qu’une seule fois pour jouer le père dans La Force de tuer de Lars Norén, au Poche, il y a une dizaine d’années.

Production Les Amis – Le Chariot

 

 

LA PRESSE 

 

LETTRES À OLGA

Rosine Schautz, Scènes Magazine,
n°364, mai 2024

En 1899, Tchekhov fait la connaissance au Théâtre d’Art de Moscou d’Olga Knipper, qui en est alors l’actrice vedette. Au-delà de cette rencontre et de la collaboration qui va faire d’Olga l’interprète de tous ses grands rôles commence une correspondance qui durera six ans, de la naissance de leur amitié à leur mariage en 1901, jusqu’à la mort de Tchekhov en 1904.

Atteinte de tuberculose, l’écrivain vit à Yalta, tandis qu’Olga lui donne des nouvelles de la vie du théâtre à Moscou, des répétitions, des écrivains qui comptent, comme Gorki ou Tolstoï…

Soucieuse de sa liberté, elle veut à la fois se consacrer à sa carrière, mais rêve aussi d’une vie partagée. Ces lettres échangées entre Tchekhov et Olga sont un témoignage inédit et unique sur la vie intime des plus grands auteurs russes.

Réflexions
Grâce à cette correspondance on peut assister à l’évolution de leur relation mais aussi entrer dans leurs réflexions, et observer leur passion commune pour le théâtre. Ici, leurs discussions autour de la naissance des célèbres pièces de Tchekhov dont Olga est l’actrice principale, là les portraits d’artistes devenus légendaires a posteriori, là encore des questionnements sur le devoir moral de l’artiste face à son œuvre, ou encore sur Stanislavski, dont La Formation de l’acteur, ou La Construction du personnage, sont devenus les bibles du théâtre et du jeu dramatique dans le monde entier.

C’est souvent Tchekhov qui donne le ton. Il invente pour la femme qu’il aime toutes sortes de petits mots amusants, tels que « mon petit cheval », « mon Hongrois » ou même « mon chien » et signe ses missives de noms aussi pittoresques que « le vieil Anton », « l’académicien Toto » …

Les lettres d’Olga nous font découvrir l’univers d’une actrice qui semble interroger celui qu’elle appelle mon « homme de l’Avenir ». Elle attend de lui des réponses définitives sur tout, que ce soit sur leur vie, son travail de comédienne dans tel ou tel rôle, voire sur des questions existentielles qui l’habitent, tournant autour de la finalité de la vie humaine par exemple. Mais elle n’obtient que des réactions simples : « Tu me demande ce qu’est la vie. C’est la même chose que de demander ce qu’est une carotte. La carotte est une carotte, un point c’est tout. »

À ne pas manquer, d’autant plus qu’elle marque le grand retour à Genève du comédien Jean-Pierre Malo, que l’on n’avait plus vu depuis une dizaine d’années sur les planches suisses.

 

DE YALTA À MOSCOU

Apolonia M.E., La Pépinière,
7 juin 2024

Une histoire d’amour entre un dramaturge et une actrice ? Prévisible, pensera-t-on. Celle entre Olga Knipper et Anton Tchekhov, relativement courte, commencera en 1899 et s’achèvera à la mort de ce dernier, en 1904. Sobrement intitulée Lettres à Olga, cette pièce, programmée par Les Amis musiquethéâtre du 29 mai au 2 juin, est l’exemple d’un ménage à trois réussi : le théâtre, l’actrice et l’écrivain.

Les trois âmes-sœurs
Dans la vie, comme dans le règne animal, il s’avère que les professions de même catégorie ont tendance à s’accoupler entre elles : les profs avec les profs, politiciens avec politiciennes, boulangers avec boulangères, un joueur de foot avec une bimbo, etc. Un schéma peut-être un peu cliché mais classique. Le duo de notre pièce ne fera pas exception.

Rappelons le contexte de leur rencontre : en 1899, Tchekhov est à Moscou pour assister à une représentation de sa pièce phare, la Mouette. Jouée pour la première fois en 1896 à Saint-Pétersbourg au théâtre Alexandrinski (d’après le nom de l’épouse de Nicolas 1er) la pièce est un véritable flop. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1898, au Théâtre d’Art de Moscou, que le public reconnaîtra les mérites de la pièce. Le succès est tel que la Mouette deviendra la mascotte officielle du théâtre. C’est dans l’ambiance de cette « success story » que l’écrivain rencontrera l’actrice vedette du théâtre, Olga. Coup de foudre amical entre les deux vedettes. Commencera alors une correspondance qui durera jusqu’à la mort de l’écrivain.

Cette relation, qui s’est nouée sur fond d’admiration réciproque, –– bon, surtout du côté d’Olga, qui ne manque pas une occasion dans la pièce de faire une révérence à son « starets» (signature ponctuelle utilisée une fois par Anton, qui est grosso modo le synonyme de « maître spirituel » ), se transformera rapidement en concubinage. Une relation essentiellement épistolaire, où les rencontres se font rares. Entre les deux plumes, la maîtresse de l’un et de l’autre : le théâtre. Le théâtre reste leur point d’attache qu’ils ne quitteront jamais. Ce terrain commun sera le terreau fertile de réflexions communes et d’échanges fructueux sur le sujet. Gogol, Gorki ou encore Tolstoï font partie de leur paysage mental. Dans la pièce, on commente, on critique, voire même, on fait le procès des critiques de l’époque (d’après Anton, on n’a rien compris à la Cerisaie, décrite comme une pièce dramatique, alors que l’intention de l’auteur était d’en faire une comédie).

« Aime-moi », signé ton petit chien
Il faut le dire d’avance. Les échanges entre Anton et Olga ne sont pas franchement « feminist-friendly ». Olga y est décrite comme le « petit chien » de Tchékhov. Cette expression canine, prononcée sans aucun doute avec affection, donne néanmoins le ton entre les deux êtres, à savoir, un gourou posé sur un piédestal et sa groupie, qui portera continuellement aux nues l’auteur et ses créations. Ces éloges, si elles sont sincères, frôlent toutefois par moments le ridicule : « On attend tes pièces comme la manne céleste ». Traité en véritable prophète, Anton domine la scène et la conversation par son humour et son désir de contrôle sur tout. Si Olga ne tarit pas d’éloges envers l’auteur de la Mouette, elle se montre très critique envers elle-même, et il s’avère aussi que son amant ne l’apostrophe pas avec la même fureur admiratrice : « mon petit chien », « ma petite fille » ou occasionnellement « mon cheval » … voilà des exemples de terminologies utilisées pour apostropher avec tendresse sa groupie (pour info, son histoire avec Olga va lui inspirer une nouvelle en 1899 : la dame au petit chien.) Cette appellation rappelle sans doute le surnom donné au personnage d’Annette par son mari dans la pièce Le Dieucarnage de Yasmina Reza : « Toutou ».

La distance entre les deux (Anton pour des raisons médicales est resté à Yalta et l’actrice phare du Théâtre d’Art de Moscou est tenue de briller sur les planches pour y assurer le succès des pièces, dont certaines œuvres d’Anton) est aussi un sujet de causerie.

Olga est, aux débuts de leur relation, traitée en ravissante poupée que le dramaturge n’hésite pas à laisser traîner sur un coin poussiéreux d’une étagère (certes, il a l’excuse de la maladie) ; on peut toutefois aisément imaginer que ce « vieux garçon » sans enfants ne veuille pas de femme entre ses pattes, surtout quand l’idylle précédant celle avec Olga était aussi nourrie sur fond de correspondance. Olga, la sentimentale un « brin » accro à son Tchekhov réclamera à corps et à cris son affection (« aime-moi ! », implorera-t-elle, ce à quoi il répondra avec tendresse : « je t’aime quarante-cinq fois ») et un rapprochement physique entre eux (ce dernier point n’est alors pas dans les projets de l’auteur). Néanmoins, quand il a vent d’une liaison qu’Olga entretiendrait à Moscou, il se jette sur son encrier pour lui demander sa main, et l’invite à Yalta. L’actrice accepte, y restera deux semaines, et cette « demande en mariage » ne sera au final qu’une visite de convenance de plus. Mais « happy end », après l’avoir fait encore un peu poireauter, l’écrivain craque et proposera en 1901 sa dulcinée en mariage.

Des personnages tout droit sortis d’une pièce de Tchekhov
Peu avant de rendre l’âme, le célèbre dramaturge finalisera deux pièces ultimes, qui comptent parmi ses chefs-d’œuvre les plus connus : les Trois sœurs (1901) et la Cerisaie (1904). Ces deux pièces, écrites dans le timing de la relation entre lui et l’actrice, seront évoquées à travers leur correspondance. Olga jouera le rôle de Macha dans la première et le rôle de Liouba, veuve meurtrie dans la deuxième pièce (et incarnera ce rôle dans la vraie vie la même année). Olga et Tchekhov sont des personnages typiquement tchekhoviens (ils auraient pu littéralement être écrits pour l’une de ses pièces), magistralement interprétés par Françoise Courvoisier et Jean-Pierre Malo dans cette mise en scène à la fois théâtrale et musicale, avec un accompagnement au piano rendant hommage à Alexandre Scriabine, pianiste russe contemporain à l’écrivain, soutenant avec brio la langue tchekhovienne, souvent dépeinte (avec raison) comme musicale. Dans ce spectacle à deux voix, on rit, on s’amuse, on s’étonne parfois, on s’instruit, on prend des notes (pas seulement la journaliste), on s’émeut, on ressent de l’empathie pour la pauvre Olga et on attend anxieusement l’inévitable fin du dramaturge.

Des morceaux de vie en didascalies, dialogues pleins de vie, et au final, une belle collaboration entre le dramaturge pygmalion et son actrice, qui seront le pilier sentimental et intellectuel l’un pour l’autre.

PS : Pour anecdote, la nièce d’Olga, elle-même baptisée Olga, se maria en 1914 à l’acteur Michael Tchekhov, qui n’était ni plus ni moins que… le neveu de Tchekhov ! La comédie semble décidément être une affaire de famille chez les Tchekhov.