28 FÉVRIER – 19 MARS 2023

D’Alexandre Santos

Avec Sophie Lukasik et Émilie Cavalieri. Mise en scène Philippe Lüscher
Lumière Rinaldo Del Boca. Son Nicolas Le Roy. © Daniel Calderon

Horaires
Mardi 20h • Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h30 • Dimanche 17h
Relâche lundi

SYNOPSIS

Cette pièce, lauréate du Concours d’écriture pour le théâtre de la Fondation Johnny Aubert-Tournier (Maisons Mainou), met en scène une mère et sa fille de 21 ans, qui tentent de communiquer, malgré un fossé difficilement franchissable…
Parallèlement à son travail d’écriture, Alexandre Santos est travailleur social spécialisé en addictologie. Dans Les Ronces dans ma bouche, il aborde le sujet de l’addiction avec beaucoup de sensibilité et de vérité. Mais cet échange entre une mère et sa fille a une portée universelle, la drogue n’étant que le contexte d’un magnifique dialogue, bordé certes de ronces mais aussi de fleurs, de lumière et d’espoir.

Écrivain français né en 1991, Alexandre Santos signe pour le théâtre : Que faire de nos fils ?Cadavre au cabaret, et Porte close. Dernièrement, son scénario de long métrage En ton nom, publié aux éditions L’Harmattan en 2021, a reçu la médaille de bronze du concours Vivons les mots ! 

Auteur et metteur en scène, directeur des Maisons Mainou, Philippe Lüscher réunit pour ce face-à-face intense une comédienne d’envergure, Sophie Lukasik et une jeune actrice, récemment diplômée de la Manufacture (Haute École des Arts de la Scène), Émilie Cavalieri.

Production Les Amis – Le Chariot

 

LA PRESSE 

AUX AMIS, UNE MÈRE, SA FILLE ET LA DROGUE AU MILIEU
Le Temps, 1er mars 2023

Jusqu’au 19 mars, la salle carougeoise abrite un dialogue tendu, mais sans cris, sur la toxicomanie. Sophie Lukasik et Emilie Cavalieri donnent le juste relief au texte

Une jeune femme de 21 ans qui, dans sa chambre au lit bien fait, explique calmement ses injections quotidiennes de Subutex à sa maman. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Les Ronces dans ma bouche, à l’affiche des Amis, à Carouge, ne diabolise pas la toxicomanie. Mais, tempère l’auteur Alexandre Santos, à la sortie, «je ne veux pas faire d’angélisme non plus». Ainsi, au fil de la pièce, Marion annonce qu’elle va rejoindre une «salle de consommation à moindre risque», type Quai 9 à Genève, pour éviter le pire…

La voix magnifiquement voilée, Sophie Lukasik compose Sonia, une mère choquée qui ne comprend pas le choix de sa fille. Fraîchement diplômée de la Manufacture, Emilie Cavalieri donne un doux relief à Marion, en équilibre sur la vie.

Mettre des mots sur la conso
Un constat qui fait du bien aux oreilles à défaut d’être totalement réaliste: pas de cris dans cet échange serré sur les joies et les peines de la toxicomanie. De manière tendue, mais posée, les deux femmes essaient de mettre des mots sur une activité diversement ressentie. Pour la mère, c’est sûr, sa fille se détruit dans une logique suicidaire et sa mission maternelle consiste à comprendre quel trauma explique cette fuite dans le produit.

Pour la fille, à l’inverse, la drogue lui procure un plaisir sans nul autre pareil, un coin de paradis auquel elle n’est pas prête à renoncer, sans pour autant réparer une blessure du passé. «Je ne veux pas mourir», assure-t-elle à sa mère «terrorisée».

Une toile d’araignée
Le dernier tiers du dialogue orchestré par Philippe Lüscher montre que ce n’est pas si simple. Il y a peut-être bien entre les deux personnages une souffrance ancrée. En témoigne cette jolie idée de mise en scène. Au fil de la soirée, Marion tisse une toile en accrochant des fils de couleur aux parois de sa chambre, laquelle est déjà une meurtrière tranchant en biais la petite scène des Amis.

A force de voir les fils barrer l’espace, on se demande si la jeune femme reste l’araignée de la toile ou devient la mouche prise au piège. Sonia, la maman, doit aussi se plier en quatre lorsqu’elle veut rejoindre le lit où l’échange prend une teinte plus réconfortante, plus intime.

Tout est vrai
Le message est clair: l’adolescence est un labyrinthe, une zone cryptée et, parfois, souvent, la relation est minée entre enfants et parents. Faut-il pour autant s’alarmer?, questionne l’auteur. Temporiser peut être une solution pour ne pas dramatiser des choix qui ne sont pas aussi dangereux qu’imaginé, semble suggérer Alexandre Santos qui est également travailleur social au nord de Paris, spécialisé en addictologie.

«Tout ce qui figure dans ce spectacle vient ce que j’ai entendu dans l’exercice de mon métier. Je ne me serais pas permis d’inventer sur un sujet aussi sensible», explique le jeune homme de 31 ans, lauréat avec cette pièce du Concours d’écriture pour le théâtre de la Fondation des Maisons Mainou, à Genève.

La drogue dépassionnée
Quand on lui fait remarquer que l’échange qui parle de culpabilité et de honte est étonnamment serein, l’auteur répond que de nombreux consommateurs ne ressemblent pas aux écorchés vifs des scènes ouvertes de la drogue. «Beaucoup maîtrisent leur discours et leur consommation. Ou en tout cas, ils prétendent le faire.» Face à ce pragmatisme dépassionné, on pense à Virginie Despentes qui a souvent écrit que le monde festif de la nuit consommait abondamment par plaisir, sans chercher à se détruire.

«J’ai voulu éviter à la fois la diabolisation de la toxicomanie et l’angélisme, insiste Alexandre Santos. Marion sait qu’elle arrêtera un jour, elle dit juste qu’elle n’est prête pour l’instant. Le principal pour les parents, c’est de ne pas couper le lien avec le ou la jeune, de ne pas l’enfermer dans cette identité.» Voilà sans doute pourquoi, dans la pièce, la mère commence par s’intéresser aux peintures (pas terribles!) que Marion réalise dans sa chambre avant de la cribler de questions. Les mots ne sont pas toujours les meilleurs amis de ces situations complexes…

Le théatre qui ouvre
Au jeu, Sophie Lukasik et Emilie Cavalieri donnent beaucoup de vérité à l’action. La première joue cette mère sous pression, offensive dans ses propos, mais pas dans le ton. Ou alors sans monter dans les tours. En face, Emilie Cavalieri compose une jeune adulte étonnamment conciliante, ouverte à la discussion. On se situe loin du cliché (ou de la réalité?) du toxicomane sur les nerfs, immédiatement sur la défensive, qui explose à la moindre allusion-accusation.

Ce choix de Philippe Lüscher est étonnant et vertueux. On entend mieux le texte, cette tentative entre mère et fille de saisir en finesse les points de vue contrastés sur une activité de fait très stigmatisée. On ressort informé et désireux d’en savoir plus. C’est toujours bien quand le théâtre ouvre plutôt qu’il ne ferme et condamne.
Marie-Pierre Genecand

 

 

PARLER DE SA TOXICOMANIE
Le Courrier, 8 mars 2023

Pièce lauréate du concours d’écriture théâtrale des Maisons Mainou, Les Ronces dans ma bouche met en lumière un sujet tabou, peu abordé au théâtre.

L’action se déroule dans la chambre de Marion. La jeune femme d’une vingtaine d’années (Emilie Cavalieri) est sur son lit lorsque sa mère, Sonia (Sophie Lukasik), rentre du travail. On ne voit que la fille, la mère, elle, est en hors-scène. La voix maternelle perce derrière le décor, elles échangent quelques banalités. Un abîme semble les séparer.

Le metteur en scène Philippe Lüscher aurait pu conserver longtemps la distance entre les deux personnages. Mais la pièce d’Alexandre Santos propose au contraire de resserrer les liens entre les deux femmes. C’est ce qu’elles vont faire petit à petit, finissant par se rapprocher physiquement, et psychologiquement, dans le petit cadre scénique qui leur est imparti. Un espace dans lequel Marion est en train de tisser sa propre toile, au propre comme au figuré.

Mais les langues se délient. La fille explique, la mère tente de comprendre. La drogue a envahi le quotidien de Marion et, contrairement à son partenaire amoureux aussi toxicomane, dont elle vient de se séparer, la rupture n’est pas pensable. Impossible d’arrêter de se shooter après avoir goûté à l’extase. Au contraire, la première salle de shoot ouvre le lendemain en France et le jour sera historique.

Consommer sans (trop) se mettre en danger sera désormais possible dans ce lieu sanitaire public qui offre l’avantage d’une consommation à moindre risque car sous supervision médicale et sociale.
L’auteur des Ronces dans ma bouche est aussi un travailleur social spécialisé dans l’addictologie et sait de quoi il parle. Sa pièce, lauréate du troisième concours d’écriture théâtrale (2021) des Maisons Mainou-Fondation Johnny Aubert-Tournier, à Vandoeuvres, dans le canton de Genève, a d’ailleurs été un coup de cœur du jury.

Si le cinéma nous a davantage habitué·es à des scènes ardues, voire insoutenables, avec Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… ou Les Enfants du Platzspitz, le sujet sensible de la dépendance aux psychotropes a le mérite ici d’être porté au théâtre. Sur la scène des Amismusiquethéâtre à Carouge, pas de seringue ni d’overdose. Tout repose sur le dialogue entre une mère et une fille qui s’aiment et se sentent coupables du malheur de l’autre.
Cecile Dalla Torre

 

 

DES ÉPINES ET DES ROSES
La Pépinière, 16 mars 2023

Les Amis musiquethéâtre nous propose jusqu’au 19 mars un spectacle haut en couleurs et en émotions : Les Ronces dans ma bouche où la sublime Sophie Lukasik renoue avec la scène après dix années passées loin des planches. Pour le plus grand bonheur du public, qui la redécouvre encore plus talentueuse que jamais.

Dès la première phrase, cette comédienne de renom envoûte le public de sa voix douce et légèrement voilée. Sophie Lukasik transmet au public, par un jeu subtil, toutes les nuances possibles de sa voix pour toucher les spectateurs·ice·s au plus profond de leur être. Elle n’incarne pas uniquement le personnage d’une mère – Sonia – prise par le désespoir de voir sa fille se tuer à petit feu par la drogue qu’elle consomme ; mais elle fait naître ce personnage maternel et vivre un large panel d’émotions au public. Les spectateurs·ice·s sont emporté·e·s dans cet univers familial où le subutex vient insidieusement s’immiscer dans une filiation déjà fragile. Cette drogue est tellement présente dans leur relation qu’elle s’en voit comme personnifiée par les fils et les cordes que Marion vient tendre à travers sa chambre. À l’instar d’une toile d’araignée, les protagonistes sont au fur-et-mesure prises au piège dans un espace-temps réduit à leur réalité.  Nous rentrons progressivement dans leur intimité, dans l’antre émotionnel qui lie ces deux personnes et où un scénario intergénérationnel se dessine en demi-teinte.

Très jolie performance également pour Émilie Cavalieri qui donne la réplique à son aînée. Récemment diplômée de la Manufacture, elle interprète avec brio le rôle de cette jeune adolescente en proie à ses démons. Elle oscille entre un paradis illusoire où règne l’envie du plaisir immédiat et une lente descente aux enfers. Côtés épineux de la situation, le nœud de l’histoire, la communication et le lien entre une mère et sa fille. Sonia tente de raisonner sa fille et lui propose de lutter, cependant Marion est claire : elle ne peut pas.

À la recherche du temps passé, des premiers liens tissés entre elles, dès la naissance pour comprendre l’innommable, le pourquoi ? Question qui restera vraisemblablement un mystère. La notion de l’amour intervient à point nommé. Il est bel et bien présent entre les deux protagonistes tout comme le vide qui continue de grandir et prendre de la place dans le corps de Marion.  Nous devenons tour à tour témoin de cette difficile réalité, cependant le public ne juge pas, il comprend et accepte de ressentir leurs émotions tant la réalité des deux femmes est poignante.

Des dialogues criants de vérité, écrits par l’auteur Alexandre Santos, travailleur social au bénéfice d’une expérience professionnelle en addictions et magnifiquement mis en scène par Philippe Lüscher avec pour seul et unique décor  la chambre de Marion. La jeune fille dévoile lentement son univers. Nous découvrons toutes sortes d’objets dissimulés sous son matelas et son lit, de la peinture, des fils et des cordes. Les intensités lumineuses sur les comédiennes sont en parfaite corrélation avec les intentions des personnages. La beauté de la lumière vient sublimer les moments clés de l’histoire et le son enrichit l’imagination des spectateurs·ice·s.

Malgré la dureté du sujet, cette histoire est le reflet de beaucoup d’amour et d’espoir. Comme le disait Jean d’Ormesson : « Merci pour les roses. Merci pour les épines. La vie n’est pas une fête perpétuelle, c’est une vallée de larmes mais c’est aussi une vallée de roses. Et si vous parlez des larmes, il ne faut pas oublier les roses et si vous parlez des roses, il ne faut pas oublier les larmes. »
Natacha Gotti