27 NOVEMBRE – 15 DÉCEMBRE 2019

de René Zahnd

Avec Olivier Lafrance, Patricia Mollet-Mercier, Vincent Ozanon et Alexandra Tiedemann
Mise en scène Françoise Courvoisier. Lumière Rinaldo Del Boca. Son Nicolas Le Roy
Photo Anouk Schneider

SYNOPSIS

Gravement blessée, une reporter est rapatriée d’un pays en guerre. À son réveil, elle se retrouve abruptement dans un lit d’hôpital face à son compagnon de vie.  Mais là-bas elle a rencontré un homme, dont elle murmure le nom dans son sommeil… Survient un couple d’amis de longue date. Malgré l’état critique de la journaliste et  l’inquiétude de son compagnon, dans l’atmosphère étouffante de la chambre d’hôpital, sans doute désarçonnés eux aussi par la mort qui rôde, ces deux-là se livrent à une guerre de couple redoutable. La violence domestique est alors mise en parallèle avec la violence entre les peuples. Une tragédie moderne, à laquelle René Zahnd injecte une bonne dose d’humour. La pièce a été éditée à L’Âge d’Homme en 2018.

L’écriture de René Zahnd a la particularité d’évoquer des problèmes concrets d’aujourd’hui dans une langue travaillée, poétique, qui ose l’alternance des styles. Auteur d’une quinzaine de pièces de théâtre, René Zahnd a été journaliste avant de devenir directeur adjoint au Théâtre Vidy Lausanne aux côtés de René Gonzalez. Il est aussi traducteur. Il traduit notamment Büchner, Pirandello, Lars Norén… Mais aussi, avec la collaboration d’Hélène Mauler, Brecht, Dürrenmatt, Horváth, Bärfuss, Mayenburg… En avril dernier, il publie un livre sur Benno Besson aux Éditions Payot.

Production Les Amis – Le Chariot

 

HORAIRES

Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 21h • Dimanche 17h

Relâche lundi & mardi

 

Entretien avec Françoise Courvoisier
Léa Déchamboux, novembre 2019

Pourquoi avoir choisi de monter Le Corps infini ? Qu’est-ce qui te touche dans ce texte, t’anime ?
Ce qui m’a frappée en premier lieu, voire « dérangée », c’est la situation. Une situation de base très inconfortable, douloureuse et parfois gênante… Quatre personnages sont réunis dans un huis-clos : une chambre d’hôpital, les soins intensifs. Ce sont quatre amis de longue date, deux couples dans la quarantaine : l’un d’entre eux est gravement blessé : il s’agit de la reporter de guerre, Catherine, sans doute la plus brillante des quatre… Et plutôt que d’être suspendus à son souffle, inquiétés de sa survie, ils s’éparpillent, se répandent et laissent émerger leurs propres blessures. Les blessures du quotidien. Le couple d’amis, Alice et Guy, ne parviennent pas à gérer leurs conflits personnels et malgré le contexte, leur agressivité l’un envers l’autre explose à tout moment… Comme si l’accident arrivé à Catherine rompait les barrières qui jusqu’alors les avaient maintenus dans la bienséance. Quant à Arnaud, le compagnon de la journaliste alitée, il est totalement dépassé par la situation… Le sol se dérobe sous ses pieds et il constate avec amertume que sa femme est devenue une étrangère :
Arnaud.- Je me demande ce qui se passe dans sa tête. Cette nuit, je la regardais dormir et je me disais : même la personne qui t’es la plus proche, celle avec qui tu as le plus d’intimité, même elle, tu ne la connais pas. Tu ne sais presque rien d’elle. Juste ce qu’elle veut bien te montrer. (Séquence 14)

Le texte est entrecoupé de chants poétiques, qui viennent rompre le langage plutôt quotidien des dialogues, comme des retours dans le passé, dans le lieu du conflit – de la guerre et du conflit intérieur que peut ressentir le personnage de Catherine… – comment les représenter sur scène ?
C’est une des richesses de la pièce et de l’écriture de René Zahnd en général. Il ne craint pas les « grands écarts » et ose passer abruptement de la trivialité d’une dispute de couple à un poème empreint d’amour fou… Car le paradoxe – que je trouve très émouvant – est que Catherine a découvert là-bas, pour la première fois de sa vie, l’extase amoureuse… Le corps infini. Dans ce pays en guerre, en danger de mort, elle rencontre l’homme de sa vie, qui lui-même est arrivé au bout de son combat. (Il s’agit d’un rebelle qui a été arrêté et torturé au moment où elle s’est fait rapatrier en France).
Comment représenter ces poèmes en scène ? Le plus simplement possible, je crois. Il s’agit pour moi d’une voix intérieure, et surtout pas d’une déclamation emphatique face public. Catherine rêve et ses rêves ont la force et la beauté de sa rencontre avec Slimane. Ce qui est intéressant et que je partage avec bonheur avec la comédienne Alexandra Tiedemann, c’est la recherche du concret dans la poésie. Plus les mots sont aériens, plus il est nécessaire de les ancrer au sol… D’ailleurs il y a quelque chose de très charnel, de très sensuel dans ces intermèdes poétiques. Cette pièce me rappelle aussi à quel point l’homme est grand et petit à la fois. Et que nous ne sommes pas à l’abri de la laideur…
Catherine. – On a l’impression là-bas, que tout à coup les gens se transforment, que quelque chose se réveille en eux, quelque chose qui leur échappe… Un père de famille, un boulanger, un garagiste, l’épicier du coin… un « brave type », d’un instant à l’autre il change : il prend une machette et tue tout ce qui lui tombe sous la main. Alors la vraie question c’est… Est-ce que nous aussi on serait capables de tuer ? (Séquence 7)

Ce qui est frappant dans ces chants prononcés par Catherine c’est qu’ils donnent l’impression d’un calme intérieur, profond, alors qu’ils sont directement liés au lieu de la guerre et que, au contraire, la chambre d’hôpital – qui devrait être un lieu de tranquillité – devient le lieu du « chaos » à travers la présence du couple d’amis, notamment.
C’est la dimension philosophique de cette pièce. Le calme intérieur est peut-être le seul joyau qui ne peut être retiré à celui qui l’a gagné… Catherine, après toutes ses missions dans différents pays en guerre, a rencontré cette paix, notamment grâce à sa rencontre avec Slimane. Cela peut sembler romantique mais je trouve ça surtout bouleversant.On mène une vie que l’on croit remplie, et soudain, face à une plénitude insoupçonnée, on réalise la vacuité de sa vie passée… D’où ses mots d’une sincérité brutale à Arnaud, son compagnon : « Je ne pourrai plus jamais vivre avec toi comme avant ».
On ne peut pas revenir en arrière, il y a des événements qui rendent les choses irréversibles. Catherine est mortellement blessée mais il y a en elle aussi une part de bonheur, celle qu’elle a trouvée là-bas avec Slimane, qui ne peut lui être ôtée.

À travers le personnage de Guy, il y a un aspect très défaitiste sur le monde d’aujourd’hui – et Alice aussi fait souvent mention de la violence du monde – comment tu envisages cet aspect-là ?
Je dirais : comme une évidence. Comment écrire et comment faire du théâtre en faisant abstraction de la violence du monde ? Il en est de même pour tout ce qui nous parcourt personnellement : comment faire abstraction des chocs physiques et émotionnels ? Personne n’est indemne et pour la scène, c’est un « poids » avec lequel il faut jongler. C’est aussi une richesse, un matériau artistique pour jouer. Entre la mièvrerie stupide et la noirceur écrasante, il y a de nombreux chemins possibles… Je ne souhaite personnellement pas effrayer le spectateur, mais je le respecte assez pour le confronter à des sujets sensibles, notamment à la violence du monde. Sans faire l’impasse sur la beauté et l’amour, dont il déborde également. Je trouve justement très réussi dans la pièce de René Zahnd la manière dont on sent, malgré les conflits internes, le tissu d’affection et de tendresse qui relie les uns aux autres. Pessimiste peut-être, mais jamais morbide ou cynique.
Quant au personnage de Guy, il y a dans son humour noir une sorte d’appel au secours, un besoin désespéré d’être aimé. Et comme il est autodestructeur, il attaque ce qu’il aime, en particulier celle qu’il aime, au risque de la perdre…