10 MAI – 29 MAI 2022

D’après Requiem des innocents & Septentrion de Louis Calaferte

Avec Felipe Castro et José Lillo. Mise en scène Françoise Courvoisier. Lumière Rinaldo Del Boca
Son Nicolas Le Roy. Photo avant-première Anouk Schneider. Photos plateau David Wagnières

 

Horaires
Mardi au samedi 19h • Dimanche 17h
Relâche lundi
Durée: 2h10 (entracte compris)

SYNOPSIS

La plume de Louis Calaferte avait déjà bouleversé le public en mai dernier avec Partage des vivants. Un grand cri de révolte contre la misère et l’injustice, hélas plus que jamais d’actualité. Françoise Courvoisier et les deux comédiens du spectacle, Felipe Castro et José Lillo, poursuivent avec Requiem des innocents et Septentrion leur compagnonnage avec l’œuvre puissante et flamboyante de l’écrivain français, décédé en 1994.

Salué comme une révélation en 1952, Requiem des innocents est le premier livre de Louis Calaferte, qui n’a alors que vingt-quatre ans. Il y retrace son enfance misérable dans la zone d’une grande ville, où la brutalité et l’ignorance des parents laissent libre cours aux jeux cruels des enfants. Un récit lumineux, empreint d’humour et tendresse.

Septentrion, qui succède au Partage des vivants en 1963, est également autobiographique. Ce récit où la sexualité tient un rôle primordial est tout d’abord censuré à sa sortie, taxé de pornographie et interdit de vente pendant vingt ans.
Ce n’est qu’en 1984 qu’il est réédité par Denoël et considéré comme un chef d’œuvre.

Production Les Amis – Le Chariot

 

LA PRESSE

LE COURRIER

EMPOIGNER LES MOTS, Judith Marchal, 23 mai 2022

Au Théâtre des Amis, à Carouge, Calaferte rassemble deux pièces de l’auteur du même nom pour offrir un double seul en scène percutant.

Nous sommes dans le Requiem des innocents, premier ouvrage de Louis Calaferte paru en 1952. La scène est épurée: deux caisses jonchent le sol de manière désordonnée avec, en fond, un parterre de cailloux. C’est les mains dans les poches que Felipe Castro (actuellement à l’affiche d’Une Histoire provisoire au cinéma) incarne le narrateur de ce récit en grande partie autobiographique.

L’auteur, né en 1928 à Turin, passe son enfance dans la banlieue de Lyon. La misère, la banalisation de la violence et l’innocence perdue trop tôt guident ce monologue poignant de vérité. Avec calme et une émotion étonnamment ­dépouillée, il raconte les drames d’une jeunesse sans avenir. Des évènements relativement communs d’abord, qui glissent peu à peu vers des jeux abominables. Après un court entracte, nous voici projeté·es des années plus tard dans Septentrion (1963).

Dans une scénographie qui change à peine entre les deux représentations, le simple ajout d’une table de bistrot et d’un verre de vin suffisent à indiquer une évolution sur l’échelle sociale. Bien que cela ne soit jamais mentionné, le public verra sans peine une continuité entre les deux monologues. Si la plume reste la même, le ton est radicalement différent. Avec son vocabulaire cru et incisif, le texte fut censuré pour pornographie jusqu’à sa réédition en 1983. C’est effectivement de sexe dont il s’agit principalement dans ce récit fort en images grivoises, à travers lequel l’homme narre sans omettre de détails les souvenirs de son aventure charnelle avec une femme plus fortunée et plus âgée. Le comédien aussi a changé. José Lillo campe un narrateur radicalement différent du premier. Avec sa diction envoûtante, il nous présente un homme désabusé et pris dans ses réflexions personnelles, que seule la soif d’écrire semble maintenir en vie.

Deux coups de poing. Le premier provoqué par la violence du récit, le second dû au mordant des mots. Face à une telle puissance, la sobriété de la mise en scène et de la scénographie se justifie amplement. Rien n’est montré, tout est dit. La directrice du Théâtre des Amis Françoise Courvoisier semble l’avoir compris en choisissant d’adapter ces deux textes: chez Calaferte, le verbe se suffit à lui-même. Et ce dernier est porté à merveille par les deux comédiens qui, chacun dans leur style, transportent le public dans l’univers de cet irréductible auteur.

 

LA PÉPINIÈRE

LE POISSON VOLANT, Jacques Sallin, 16 mai 2022

Un authentique survol de souvenirs urbains – Calaferte, dans une mise en scène de Françoise Courvoiser, à voir aux Amis musiquethéâtre.

Avec Requiem des Innocents et Septentrion, les Amis musiquethéâtre propose deux pans d’un triptyque commencé par le spectacle Partage des vivants présenté l’année dernière. Écrit par Louis Calaferte, un écrivain français qui puise ses souvenirs d’enfance dans son faubourg, ces deux monologues évoquent un passé dur ou la plus petite réussite scolaire est tenue comme le début d’une trahison. Ainsi, se positionnant tel le poisson volant, Louis Calaferte évoque sans baratin, depuis le haut, le monde de son passé, trempé dans un sirop de la rue dilué par la violence du quotidien.

Au fond de scène, au bord du fil de l’existence, un chemin de cailloux qui longe un vide sous un ciel qui l’est tout autant, qui peut rappeler la lumière évoquée par ceux qui ont fait l’expérience de mort imminente. Car dans ces deux récits, la mort est bien vivante et rôde tel un ectoplasme entre les personnages extraits de l’univers de Calaferte. Pour ce dernier, la vie a placé le chemin en-dehors et rare sont les moments d’enfance et d’adolescence où il se risquait à l’emprunter.

C’est le témoignage du Petit Nicolas en version hard. Sans rires ou des bien moches, avec des amitiés tout aussi fortes dont le terrain de jeu serait un faubourg à l’ombre de la richesse, dirigé par des règles de voyous. Ici, la plus petite honnêteté, la plus mince des réussites est sifflée hors-jeu et le banc de touche se concrétise par des beignes et des baffes. C’est la dure loi de ceux qui la refusent. À l’image du film de Kubrick Orange Mécanique, ou les règles et codes sont imposés par Alex, ici Schborn.

Un récit urbain où les mômes ont pris le pouvoir sur les gens, les choses, les filles, les autres et perdu le leur sur leur vie, leur liberté. La force de ces deux textes et dans l’œuvre de Calaferte, c’est de tisser ses souvenirs dont personne ne voudrait dans une poésie que chacun aimerait écrire. Il en est de même pour la mise en scène de Françoise Courvoisier, de révéler un fort contraste entre le fond de cuve de cette enfance, avec des intonations, des gestes et des déplacements qui pourraient avoir lieu dans un salon.

Requiem des Innocents est dit par Felipe Castro, qui est un acteur précieux dans ce type de texte. C’est le parcours d’un merdeux qui n’a pas totalement perdu le goût de l’existence, qui se pense libre en étant tout de même conscient des raisons qui le poussent à toutes les transgressions. La famille d’abord : le père alcoolique invétéré et violent comme il se doit, la mère aux grossesses chroniques, maladroite en faiseuse d’ange. Puis, les amis, les potes, les copains… Ceux qui baignent dans le même jus de déviance et les victimes, les filles qu’on baise, les mecs qu’on viole, le père qu’on fauche, les mères et le monde qu’ils emmerdent !

Septentrion est dit par José Lillo, dont la voix gutturale et le maintien saisissent parfaitement le personnage grandissant. On le retrouve se rêvant écrivain et surtout en pleine maturité sexuelle, possédant la ferme volonté d’utiliser au mieux les attributs de son pantalon. Le climat malsain glisse vers de la pornographie vécue, saisie à pleine main par une Hollandaise vorace qui engloutit avec son sexe celui du héros qui, lui, échange son épuisement d’amant contre de l’argent. Il y trouve son compte, elle pas tout à fait. Car à sa gloutonnerie sexuelle lui manque… L’anneau marital. Horreur !

On pourra penser au Rital de Cavana, mais en version carnaval moche tant la fête est belle et gratuitement cruelle. Pourtant et c’est là que réside une des forces de ce beau spectacle, c’est qu’il porte à l’anamnèse. De la violence, il suffit de déplacer le curseur pour s’y retrouver plongé. Ainsi que le bonheur, elle existe et concerne chacun. Dans le foyer, un spectateur évoquait : les assiettes de soupe qui traversaient la cuisine.

Voir ce spectacle c’est non seulement découvrir deux très beaux textes, mais c’est aussi comprendre qu’il y a en nous tou.te.s de la violence. Celle reçue, celle donnée. À nouveau, à chacun de déplacer le curseur.

 

RADIO CITÉ

RENCONTRE CULTURE, Karine Pollien, 19 mai 2022