8 FÉVRIER – 19 FÉVRIER 2023

De Yann Reuzeau

Avec Julian Baudoin, Clara Baumzecer, Gaia Samakh, Gabriel Valadon et Ines Weinberger
Mise en scène Yann Reuzeau. Assistanat Clara Leduc. Scénographie Goury. Lumière Elsa Revol
La pièce est publiée aux éditions Actes Sud. © Xavier Cantat

Horaires
Mercredi, jeudi, samedi 19h • Vendredi 20h30 • Dimanche 17h
Relâche lundi & mardi

SYNOPSIS

L’avenir. Une chance ou une menace…

Après les succès de Chute d’une nation et Les témoins, Yann Reuzeau choisit le thème de l’adolescence pour son nouveau spectacle. De l’Ambition, c’est le portrait de cinq personnages pendant cette étape clé de la vie. Plus précisément, le jeune auteur français aborde ici la fin de l’adolescence. Ce moment où l’on sent qu’on en vit les derniers instants. Les dernières heures du lycée coïncident ici avec la fin d’une histoire, la fin de l’amitié d’un groupe qui s’étiole. Parce qu’ils ont grandi, qu’ils ne sont plus les mêmes que lorsqu’ils se sont rencontrés. Ils étaient des enfants. Ils sont presque des hommes, des femmes. Ont une sexualité. Ou pas. Des rêves. Ou pas. Une ambition. Ou pas. Ils ont vécu une aventure incroyable, ont traversé l’âge de tous les possibles, de toutes les transformations. C’est un âge de pulsion, où les raisonnements sont encore balbutiants, à l’état d’ébauche. Mais ils sont là, ils prennent forme, petit à petit, ou alors se transforment radicalement en quelques secondes. Tout ça pour tenter de découvrir qui l’on est, ce que l’on veut devenir. C’est presque l’oeuvre d’une vie. Et ça demande définitivement une ambition immense.

À quarante-quatre ans, Yann Reuzeau est l’auteur et le metteur en scène de nombreuses pièces, publiées chez Acte Sud. Il dirige depuis 2006 le Théâtre de la Manufacture des Abbesses à Paris, qu’il a fondé avec la comédienne Sophie Vonlanthen.

Production Manufacture des Abesses, Paris

 

 

LA PRESSE 

À GENÈVE DES ADOS RACONTÉS AVEC BRIO
Le Temps, 9 février 2023

Attention, secousses. Après une saga politique et une fable économique, Yann Reuzeau revient pour dire les émois adolescents. Aux Amis, le public ovationne «De l’Ambition», thriller de nos 17 ans

Dans «leader», il y a Léa. Ça tombe bien. Car, sur la scène carougeoise des Amis, la jeune fille qui porte ce prénom prend la direction des opérations. A 17 ans, elle veut sauver la terre entière, y compris celles et ceux qui souhaitent rester derrière. Elle bout, secoue, incarne le titre De L’Ambition que Yann Reuzeau, 45 ans, a donné à sa partition.

Ambition? Fragilité, surtout. Celle de cinq jeunes qui, du plus discret au plus tapageur, montrent que l’adolescence est le moment de toutes les ébullitions. Soigneusement choisis par l’auteur français qui signe aussi la mise en scène, les cinq comédiennes et comédiens excellent dans cet exercice de réalisme enflammé.

Groupe en crise
Tout commence sur une crise. Peu avant le bac, des lycéens réunis dans une salle de classe, règlent leurs comptes. Rien ne va plus entre ces quatre amis qui cheminent, soudés, depuis l’enfance. Léa (Gaïa Samakh), miss énergie, donc, reproche à Parvaneh (Ines Weinberger) d’accepter de retourner en Iran avec ses parents. Elle reproche aussi à Eliott (Julian Baudoin) de ne viser qu’un métier de fonctionnaire. Et reproche encore à Jonathan (Gabriel Valadon), son petit ami, de préférer le deal de shit aux études.

Léa est en feu et tout s’embrase autour d’elle. Si bien que Jonathan la confronte. «Si t’es si solidaire, commence par t’occuper de Cécile», lance-t-il en désignant la tache aveugle de ces débats: une jeune fille (Clara Baumzecer), penchée sur son cahier et qui ne parle pas.

Les limites de la volonté
Cette entame énergique lance une heure trente d’échanges musclés et de dévoilements raffinés. A l’image de cette très belle scène où Eliott et Cécile, les deux indécis de la bande, se découvrent des affinités. Ou la fin, évidemment, qui montre la force du destin et les limites de la volonté.

Il y a deux choses qui frappent dans cette chronique de l’adolescence. D’une part, le fait qu’à cet âge, le rêve joue un rôle aussi important que la réalité. Plusieurs fois, on entre dans la tête de Cécile, l’effacée, et on réalise la vivacité de son monde intérieur peuplé d’assauts et de sensualité, tout ce que la lycéenne prostrée se refuse au-dehors.

Chacun son rythme
D’autre part, le texte montre très bien les différences de rythmes de cet âge. A démarrer trop vite, on peut s’essouffler, glisse l’auteur avec une grande tendresse pour la victime de cette injonction à l’efficacité. C’est que la société n’est pas innocente. Les notions de carrière et de réussite mettent une grande pression sur les épaules des teenagers et De l’Ambition pointe aussi ce péril-là.

La finesse d’observation de Yann Reuzeau ne surprend pas. En 2012, ce dramaturge et metteur en scène démontrait déjà son talent en racontant, au Poche, alors dirigé par Françoise Courvoisier, une présidentielle sur un mode inédit, quatre épisodes pour une intégrale de huit heures. Dans Chute d’une nation, on suivait avec passion les péripéties d’un candidat aux plus hautes fonctions qui, de la presse aux adversaires des partis, se confrontait à toutes les facettes de l’appareil politique.

Trois ans plus tard, on a retrouvé Yann Reuzeau au Poche avec Mécanique instable, une plongée dans le monde entrepreneurial, cette fois, qui recensait là aussi les grands pièges et petits arrangements entre amis.

Le courage de cet âge
Pourquoi avoir choisi l’adolescence pour cette dernière création, De l’Ambition – dont 60 représentations ont déjà eu lieu l’été dernier à la Manufacture des Abbesses, salle parisienne que l’auteur codirige avec Sophie Vonlanthen – ? «Je suis fasciné par cet âge très dense qui fourmille de 1000 possibles. Pour écrire, je me suis basé sur des souvenirs de ma propre adolescence et sur des lectures, des observations. Ce que je voulais surtout montrer, c’est le courage que demande cette étape de vie. La somme de choses sérieuses qu’il faut décider alors que tout s’agite en soi. Je voulais raconter ce paradoxe-là», explique Yann Reuzeau après la première de mercredi soir.

Une représentation qui s’est conclue par une ovation méritée. Les cinq jeunes comédiennes et comédiens incarnent ces adolescentes et ces adolescents avec une telle vérité, qu’on peine à les imaginer différents hors plateau. C’est une force de Yann Reuzeau. Rendre compte de sujets de société avec une science du récit, des personnages et du tempo.
Marie-Pierre Genecand

 

FIN D’ADOLESCENCE À LA CROISÉE DES CHEMINS
La Pépinière, 14 février 2023

Pour débuter la seconde partie de saison, les Amis musiquethéâtre accueillent la troupe de Yann Reuzeau pour De l’ambition, où cinq jeunes, à la fin de l’adolescence, se retrouvent entre deux étapes de leur vie. Un brillant récit pour un moment de vie difficile.

Tout commence au lycée, avec un groupe de quatre amis. Il y a Léa (Gaia Samakh), qui s’impose comme la leader du groupe, elle qui est promise à de grandes études et met tout en œuvre pour aider tout le monde. Elle est en couple avec Jona (Gabriel Valadon), petit bourgeois qui vit seul dans son appartement depuis le départ de ses parents et qui est devenu dealer. Parvaneh (Ines Weinberger), d’origine iranienne, est tiraillée entre sa foi musulmane, l’envie de départ de sa famille et son intégration dans la culture française. Quant à Elliott (Julian Baudoin), sous ses airs de gentil rigolo, on ne sait d’abord pas grand-chose de lui. Mais un mal-être plus profond semble sous-jacent. Bien vite, iels intègrent Cécile (Clara Baumzecer), la « bizarre » du lycée, mutique et dans la tête de qui il se passe beaucoup de choses. Le bac approche, et avec lui la fin de l’adolescence. Alors, le groupe se délite, des conflits naissent. C’est ce carrefour que ces cinq formidables jeunes comédiens et comédiennes nous racontent sur la scène des Amis. Tout un symbole.

Évoluer vers l’âge adulte
Difficile pour un·e adolescent·e d’accepter la fin de cette époque, symbole d’insouciance, malgré toutes les difficultés qu’elle comporte. Alors, chacune aborde l’approche de ce moment à sa manière. La mise en scène et le texte de Yann Reuzeau l’illustrent ici avec une grande finesse, en montrant certaines formes d’oppositions et avec un pouvoir de suggestion marqué. Léa, par exemple, verbalise beaucoup, elle veut aider les autres, quitte à en faire trop. Son problème ? Elle n’arrive pas à lâcher du lest, et on comprend rapidement que cela a causé quelques tensions avec Parvaneh. Il en va alors de même dans son couple – si c’en est bien un – avec Jona, qui souhaite simplement qu’on lui lâche la grappe. On soulignera ici son émouvante tirade sur son statut d’homme blanc aisé qui lui permet d’avoir le choix de suivre la direction qu’il emprunte. C’est tout l’inverse pour Parvaneh, qui aurait besoin de prendre du recul et de réfléchir, mais qui semble ne pas en avoir la place, d’où le clash avec Léa. Et que dire d’Elliott, lui aussi perdu, mais qui se cache derrière son humour et dévoile une grande fidélité, étant sans doute celui à qui la séparation du groupe fait le plus de mal.

Mais c’est sans doute Cécile qui est la plus intéressante dans la première partie du spectacle, en termes de mise en scène de son monde intérieur. Alors qu’elle ne parle presque pas avec les autres, la lumière s’assombrit durant certains passages, assortis d’une musique presque angoissante. On la voit accablée de reproches par les autres, alors qu’elle dévoile ses fantasmes. Par des gestes de la main, elle semble contrôler les actions des autres pour les écarter provisoirement et éviter la discussion. Subtilement, on comprend que tout cela se passe dans sa tête, sans d’abord percevoir tout ce que ces moments induisent. Jusqu’à ce que tout s’éclaire dans la seconde partie du spectacle, alors qu’elle se rapproche d’Elliott. On soulignera ici l’impeccable maîtrise du suspense de Yann Reuzeau qui, tout en racontant une histoire somme toute simple, nous plonge dans la profondeur de cette période de transition si complexe. Et comme eux, le décor fait de modules noirs évolue, se transforme, avance et revient en arrière, comme si les lieux avec lesquels iels évoluent et elleux-mêmes ne faisaient qu’un.

Franchir l’étape
Une étape de transition qu’il faut bien franchir. Car aucun·e des membres du groupe ne reste bloqué dans ses difficultés, et chacun·e les surmonte à sa manière. Elliott et Cécile se trouveront, se confiant l’un à l’autre, permettant au premier de s’ouvrir enfin sincèrement et à la seconde de s’apaiser et d’être mieux comprise. Parvaneh disparaît presque pendant un moment, comme pour lui laisser le temps de faire ses choix. Quant à Léa et Jona, c’est dans la violence qu’iels vivront la fin de cette étape de vie. La force de la mise en scène de Yann Reuzeau est de parvenir à retranscrire les différents états de ces personnages, les visions que chacun et chacune ont de l’autre, et de faire ressentir les mêmes émotions aux spectateur·ice·s. Difficile de mettre véritablement des mots sur cet aspect, tant tout semble passer par les tripes.

Et alors que la scène finale, un an après les premiers événements, permet de faire le point sur la situation de chacun·e, on se rend compte que tout ce qui était prévu a finalement pris une tournure tout à fait inattendue, pour le meilleur comme pour le pire. Alors, on repense à notre propre histoire, et on se dit que, même si on avait De l’ambition, il nous faut accepter que le parcours prévu change, comme nous changeons nous-mêmes de perspective sur le monde.
Fabien Imhof